De la lettre à la littérature épistolaire

Brève histoire

La lettre : tablettes de cire de l'époque romaineDepuis l’invention de l’écriture, entre le 5e et le 4e millénaire avant notre ère, la lettre est une forme privilégiée de communication. Phéniciens et égyptiens ont utilisé la transmission de messages écrits, et l’épître (du latin epistula, lettre) fut un des moyens utilisés par les premiers chrétiens pour organiser l’église. La lettre est même recensée dans des civilisations qui ne connaissaient pas l’écriture, comme dans l’empire inca, en amérique du sud, où les empereurs, avant la mortifère conquête espagnole, utilisaient des messagers transportant des messages codés à l’aide de nœuds sur des cordelettes, appelées quipus.

Durant des siècles, courriers et autres estafettes, puis postiers et facteurs, ont ainsi transporté et délivré des nouvelles à leurs destinataires ; mais la démocratisation progressive de la communication par lettre s’est vue soudain supplantée par des moyens plus rapides : d’abord le télégraphe, puis le téléphone, qui a rabaissé la lettre au rang de correspondance en permettant d’assurer une communication en temps réel entre deux ou plusieurs interlocuteurs.

Débordée par la technologie et par la vitesse, la correspondance n’a pourtant pas disparu, bien au contraire : de l’anecdotique carte postale aux textos et autres SMS, en passant par le courriel ou la communication via les réseaux de chat, notamment à travers MSN®, les moyens ont été multipliés ; mais le principe de base reste le même : convoyer un message au contenu plus ou moins fermé d’un expéditeur à un ou plusieurs destinataires.

Comment ça marche ?

Par lettre, par courriel ou texto, la correspondance n’est donc jamais qu’une variante de la communication, dans laquelle la particularité est la décomposition, en deux parties distinctes, de la situation d’énonciation (ou de communication : voir schéma).schéma de l'énonciation

Dans une conversation, qu’il s’agisse d’un dialogue en direct ou d’une conversation téléphonique, il n’y a pas de délai entre l’émission et la réception d’un message ; dans la correspondance, en revanche, ce délai, nécessaire à l’acheminement (quelle que soit la durée envisagée : quelques jours pour le courrier postal, quelques instants pour un texto) est certain : l’expéditeur doit également tenir compte du fait que le destinataire n’est pas obligatoirement là, en attente, au moment où le message est émis. De ce fait, la situation d’énonciation est coupée en deux : au moment de l’émission du message, le destinataire n’est pas là, et lors de sa réception c’est l’émetteur qui est absent. Une partie plus ou moins importante du contenu de la lettre va donc consister à « rétablir », de façon fictive mais acceptable, la situation d’énonciation décrite dans le schéma.

Lettre privée, lettre officielle, lettre publique.

Dans le cas le plus simple, celui de la lettre privée circulant entre deux personnes qui se connaissent déjà, ces éléments sont assez réduits : indication du lieu et de la date de rédaction, adresse au destinataire et signature permettent d’établir qui a écrit, quand, où, et de donner une indication du degré de familiarité ou du contenu de la lettre à travers l’adresse, qui est ici non pas les coordonnées postales, mais la façon de s’adresser au destinataire : Monsieur ou Madame, Cher(e) X., Mon chéri, etc. Dans le cas d’une lettre officielle avec un objectif commercial, administratif ou professionnel, il existe de nombreuses règles de présentation qui fixent la place, sur la lettre, d’un certain nombre de mentions obligatoires ou utiles : nom et adresse postale de l’expéditeur, du destinataire, motif ou forme particulière du courrier, références, formules de politesse consacrées précédant la signature complètent les éléments de la lettre privée. Quel que soit le type de lettre, y compris dans le cas d’une lettre ouverte destinée à être publiée (comme la fameuse lettre d’Emile Zola, au président de la République Française écrite à l’occasion de l’affaire Dreyfus et intitulée « J’accuse »), la lettre est, par définition, publique : son ouverture est en principe interdite pour le messager (même s’il est facile de le faire, comme il est possible d’intercepter courriels et textos), mais rien ne saurait empêcher l’expéditeur ou le destinataire de faire partager son contenu à qui bon leur semble ; la lettre est ainsi, chez Mme de sévigné par exemple, un moyen d’informer sa fille et l’entourage de celle-ci des nouvelles de Paris ou de Versailles au XVIIe siècle.

Usages de la lettre

Les moyens de communication dont nous disposons aujourd’hui,complétés par les progrès de l’alphabétisation, nous font souvent regarder la lettre comme un outil quelque peu archaïque ; elle l’est en effet, mais les applications des nouvelles technologies comme le courriel ou le texto, qui en sont les descendants, sont bien modernes… Il ne faudrait pas, au passage, oublier que la lettre a été, jusqu’à l’orée du XXe siècle, un moyen privilégié d’information pour des populations isolées, dans un pays ou les déplacements étaient longs et malaisés, la presse absente ou balbutiante, et la capacité de lire plus que limitée.

Information et témoignage

Ses usages, sans doute aussi anciens que l’écriture, sont attestés dès l’époque romaine, où les plus riches poussaient le raffinement jusqu’à avoir des esclaves capables de lire la lettre avec la même voix que leur correspondant ; puis, à travers la succession de toutes les époques plus ou moins troublées, les courriers et autres estafettes ont permis d’acheminer les dernières nouvelles des innombrables guerres et négociations diplomatiques. Outre les messagers humains, on a recherché sans cesse des moyens plus rapides et efficaces : après des expériences durant la révolution, Napoléon 1er mit en place en France le premier réseau de télégraphe, suivant l’invention de Chappe ; plus près de nous, les innombrables associations colombophiles du nord de la France sont une réminiscence des bataillons de pigeons voyageurs en usage pendant la première et jusqu’au début de la 2e guerre mondiale. Mais il ne s’agit là que d’outils pratiques ; un exemple célèbre de correspondance est celui que Madame de Sévigné, marquise à la cour de Louis XIV, a entretenu pendant des années avec sa fille Mme de Grignan, mariée à un noble provencal et vivant bien loin de sa mère et de Versailles. Ses lettres sont un exemple de la correspondance mondaine, et contiennent aussi bien des nouvelles de la cour que des informations précieuses sur le mode de vie de la noblesse de cette époque. Mais les correspondances ne s’arrêtent pas à quelques exemples connus : de très nombreux écrivains en ont entretenu de multiples, avec leurs éditeurs, leurs amis et collègues, leurs femmes ou leurs maîtresses, nous donnant ainsi des témoignages tant sur l’élaboration de leur œuvre que sur les modes de vie de leur temps. Plus près de nous, les lettres sont également une source privilégiée de témoignages sur la guerre : les lettres des « poilus » de 14-18 à leurs familles en sont un bon exemple.

Littérature épistolaire

A l’époque classique, la lettre était si répandue que certains écrivains ont eu l’idée de l’utiliser, sous la forme de lettres fictives (par opposition aux lettres réelles évoquées jusqu’ici) comme support même de leur œuvre : ainsi Montesquieu, à l’aube de l’époque des lumières au XVIIIe siècle, a-t-il critiqué la société de son temps à travers les Lettres persanes ; mais cette forme de littérature épistolaire s’étend également à des récits comme La nouvelle Héloïse de Jean-Jacques Rousseau ou Les liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos. Au XIXe siècle, cette forme littéraire est supplantée par d’autres, mais n’a cependant pas disparu aujourd’hui, comme en témoigne par exemple le succès d’Inconnu à cette adresse de K. Kressmann Taylor, une histoire d’amitié trahie et de vengeance à l’époque de la prise du pouvoir par les nazis en Allemagne où le récit épistolaire brille par son efficacité et sa finesse.

Lettres d’aujourd’hui

Au XXIe siècle, malgré son archaïsme apparent, la lettre se porte mieux que jamais : si nous l’avons remplacée par le téléphone pour communiquer avec la plupart de nos proches, nous recevons plus de courrier que jamais : factures, relevés de comptes, publicités ciblées, demandes en tous genres… et cela n’est rien à côté du volume de papier échangé par les entreprises ! Laissons de côté la poésie de la carte postale et les multiples occasions d’échanger des vœux ou des invitations : anniversaires, nouvel an, naissances, mariages, maladies, décès, qui donnent lieu à autant d’échanges de courrier parmi lesquels on rappellera l’usage, malheureusement presque perdu, de la lettre de château envoyée en remerciement d’une invitation, réussie ou non.

Mais les avancées technologiques sont venues compléter la lettre traditionnelle en attendant, peut-être, de la remplacer un jour : avec les débuts de l’ère numérique, le courrier électronique ou courriel est apparu, avec ses multiples possibilités et des modifications de forme somme toute très minimes par rapport à la lettre sur papier : même si ceux qui préfèrent écrire à la main sont nombreux, il est toujours possible de numériser une page manuscrite et de l’envoyer par les tuyaux de la toile mondiale… le cas du texto ou SMS, court message envoyé via les réseaux de téléphonie mobile, est un peu différent : si par sa facilité d’accès et son faible coût, il fait fureur parmi les jeunes générations, les limitations évidentes des supports sur lesquels il est généralement composé entraînent l’apparition d’un nouveau langage écrit, qui fait souvent hurler les puristes mais pose, de façon ponctuelle, des questions intéressantes sur l’écriture de la langue ; mais cela est une autre histoire, que nous traiterons peut-être « bi1to »…