Devoir commun de seconde – propositions de corrigé

Texte support : la mort de Gavroche

Une cinquième balle ne réussit qu’à tirer de lui un troisième couplet :

Joie est mon caractère,
C’est la faute à Voltaire,
Misère est mon trousseau,
C’est la faute à Rousseau.

Cela continua ainsi quelque temps.

Le spectacle était épouvantable et charmant. Gavroche fusillé, taquinait la fusillade. Il avait l’air de s’amuser beaucoup. C’était le moineau becquetant les chasseurs. Il répondait à chaque décharge par un couplet. On le visait sans cesse, on le manquait toujours. Les gardes nationaux et les soldats riaient en l’ajustant. Il se couchait, puis se redressait, s’effaçait dans un coin de porte, puis bondissait, disparaissait, reparaissait, se sauvait, revenait, ripostait à la mitraille par des pieds de nez, et cependant pillait les cartouches, vidait les gibernes et remplissait son panier. Les insurgés, haletants d’anxiété, le suivaient des yeux. La barricade tremblait ; lui, il chantait. Ce n’était pas un enfant, ce n’était pas un homme ; c’était un étrange gamin fée. On eût dit le nain invulnérable de la mêlée. Les balles couraient après lui, il était plus leste qu’elles. Il jouait on ne sait quel effrayant jeu de cache-cache avec la mort ; chaque fois que la face camarde du spectre s’approchait, le gamin lui donnait une pichenette.

Une balle pourtant, mieux ajustée ou plus traître que les autres, finit par atteindre l’enfant feu follet. On vit Gavroche chanceler, puis il s’affaissa. Toute la barricade poussa un cri ; mais il y avait de l’Antée dans ce pygmée ; pour le gamin toucher le pavé, c’est comme pour le géant toucher la terre ; Gavroche n’était tombé que pour se redresser ; il resta assis sur son séant, un long filet de sang rayait son visage, il éleva ses deux bras en l’air, regarda du côté d’où était venu le coup, et se mit à chanter :

Je suis tombé par terre,
C’est la faute à Voltaire,
Le nez dans le ruisseau,
C’est la faute à…

Il n’acheva point. Une seconde balle du même tireur l’arrêta court. Cette fois il s’abattit la face contre le pavé, et ne remua plus. Cette petite grande âme venait de s’envoler.


Les Misérables, Cinquième partie, Livre I, « La guerre entre quatre murs », Chapitre XV « Gavroche dehors ».

Consignes

A partir de la problématique et du plan qui vous sont proposés, vous rédigerez :

  1. l’introduction du commentaire littéraire de cet extrait

  2. la première partie de ce commentaire littéraire, qui comportera deux sous-parties

Problématique / Plan

Comment ce texte donne-t-il au personnage de Gavroche une dimension universelle?

  1. Un spectacle enlevé, à la fois drôle et tragique

  2. Un spectacle épique


Propositions de corrigé

I – proposition de M. Kappes

a. Analyse – repères

Lexique (CNRTL – dictionnaire en ligne)
Repérage

b. Introduction rédigée

Victor Hugo est une sorte d’auteur sacré dans la littérature française. Son oeuvre très abondante s’étend, des années 1820 à 1880, sur une grande partie du XIXe siècle, à travers les écoles littéraires comme à travers l’histoire elle-même. De cette grande oeuvre qui mêle poésie, théâtre, roman et discours en tous genres, Les misérables constituent sans doute une référence absolue tant les adaptations, du cinéma à la comédie musicale, en ont été nombreuses.

Les misérables sont un roman fleuve, dont les personnages ont durablement marqué la culture française : Jean Valjean le forçat honnête, Cosette, Javert, les Thénardier… et Gavroche, qui ne fait dans le roman qu’une brève apparition, mais dont la figure gouailleuse a servi de modèle à tous les poulbots de Montmartre et d’ailleurs.

C’est à la mort de Gavroche, tué sur une barricade dans la dernière partie du roman, que Hugo nous convoque dans ce texte. Présenté comme un spectacle enlevé, à la fois drôle et tragique, cet extrait contribue à donner au personnage de Gavroche une dimension universelle ; il constitue également, par sa construction et son propos, une véritable scène de genre en même temps qu’une justification de toute révolte contre les oppressions de tous ordres.

c. Première partie du commentaire

Nous entrons dans une scène déjà commencée ; Gavroche, dans l’espace entre la barricade abritant les insurgés et la troupe de gardes nationaux et de soldats qui leur fait face, ramasse sur les morts les munitions sans lesquelles la barricade ne pourra tenir. Pris pour cible par les militaires, le gamin réplique avec gouaille par des quatrains railleurs, montrant ainsi son énergie, sa détermination et son mépris de l’ordre comme du danger. L’extrait débute donc avec un nouveau tir, auquel Gavroche échappe à nouveau, et qui ne réussit qu’à provoquer de sa part un nouveau couplet dédaigneux, posant ainsi le personnage évoqué dans le paratexte.

C’est pourtant après cette entrée en matière que se situe la première clé du texte : l’auteur nous signale en effet de façon explicite que nous assistons à un spectacle – dont nous seront éventuellement appelés à juger la qualité, en fonction de notre adhésion à la manière dont Hugo nous présente les choses. La scène est par ailleurs construite avec une certaine rigueur, puisque l’extrait nous en montre successivement tous les protagonistes : Gavroche, au milieu de la fusillade, se meut dans un espace dominé par les gardes nationaux et les soldats, à la merci de leur tir, et sous les yeux des insurgés, retranchés derrière leur barricade.

La scène est éminemment tragique : dès le début, on imagine bien le terme du jeu terrible auquel se livre Gavroche, dans lequel la question n’est pas de savoir si, mais simplement combien de temps il pourra tenir sous le tir de soldats entraînés et bien armés : c’est à la mort que l’enfant se mesure, et nous savons qu’elle finit toujours par triompher. Pour autant, l’attitude même du gamin trompe-la mort, qui semble bien décidé à se rire de tout, est suffisamment drôle pour que ceux-là même qui le tiennent au bout de leur fusil rient de ses bons mots. Sans que le spectacle puisse être qualifié de comique, la légèreté dont Gavroche fait preuve, au sens physique comme au moral, arrive à tempérer, jusqu’à sa conclusion, tout ce que cette scène recèle de vraie tragédie. Maître des mots et de leur puissance d’évocation, Hugo nous le montre ainsi virevoltant sous un feu qui ne l’atteint pas, et prenant de ce fait une dimension surhumaine, avec un effet d’amplification : gamin fée, nain invulnérable, Antée, géant, tout en restant le moineau, le gamin, l’enfant feu follet dont une balle finit par faucher la petite grande âme, oxymore qui conclut la scène en répondant à celui du début, qui annonçait le spectacle comme épouvantable et charmant.

Plus encore qu’au tragique, c’est au registre épique que nous avons affaire ici. La scène dépeinte de façon assez magistrale par Hugo se rattache à la grande tradition des exploits guerriers, dans la lignée de l’Iliade, de la chanson de Roland, ou des images d’Epinal reproduisant La mort de Bara ou La Dernière Cartouche… Revenons sur le personnage de Gavroche : il s’agit d’un enfant de douze ans, dont le comportement est à la fois celui d’un adulte, capable de faire et d’assumer, jusqu’au bout, le choix raisonné de se ranger du côté des insurgés et de les aider au mieux de ses capacités, mais qui reste jusqu’au bout un gamin des rues de Paris, dont l’énergie et l’esprit ne sont jamais en repos, prêt à tout pour un bon mot qui rangera les rieurs de son côté. Ici, c’est le portrait du gamin qui apparaît et que Hugo développe au moyen d’un lexique abondant et sélectionné, essentiellement verbal : charmant, taquinait, ripostait [...] par des pieds de nez, chantait, leste, jouait, pichenette… et jusqu’à l’âme, assez légère pour quelle s’envole ; quant au comportement d’adulte, il ne se montre pas à première vue, même à travers l’évocation du jeu de cache-cache avec la mort : ce jeu n’en est pas un, l’activité de Gavroche consiste, rappelons-le, à dépouiller les morts pour approvisionner les insurgés, derrière leur barricade, en cartouches qui leur permettront de tuer encore pour tenir face aux soldats… l’enjeu est donc de taille, pour les insurgés comme pour les militaires : de chaque côté, des vies sont en jeu, et le lexique militaire n’est pas oublié : fusillade, décharge, mitraille, cartouches, gibernes, balle, tireur…

Mais ce qui aurait pu rester un simple épisode des journées de révolte de l’époque devient une scène vivante grâce à la magie des mots et à leur ordonnancement sous la plume de Victor Hugo ; cette figure de gamin qui chante sous les balles ses couplets à deux sous, pourtant si justes, cet enfant qui court, virevolte, se moque de ceux qui vont le tuer, qui se refuse à mourir avant d’avoir rempli sa mission et qui ne la remplira pourtant pas, c’est celle du peuple en révolte, de l’héroïsme de ceux qui n’ont rien d’autre que leur courage à opposer à la mitraille, et de l’innocence assassinée. A travers le jeu de Gavroche face aux soldats, c’est en fait à un combat avec la mort que nous assistons, comme nous le rappelle Hugo au milieu de l’extrait ; la mort vaincra, comme toujours, mais elle n’aura pas vaincu sans combat, et nous sommes ici au coeur même de l’épopée.

La résistance, ou le jeu avec la mort, sont des dimensions permanentes de l’humanité ; mais ce n’est pas là uniquement ce qui donne à Gavroche sa dimension universelle : ce personnage, cette figure de gamin drôle, bourré d’énergie, prêt à tout pour décrocher un rire mais surtout prêt à grandir selon ses propres principes, nous en connaissons tous une incarnation. Mais il semble bien que Gavroche soit au moins un des premiers d’une longue liste dans laquelle, entre les gosses de Poulbot et le fameux Toto des histoires drôles, on doit aussi compter les enfants de Belfast face aux Black & Tan, ou ceux de la guerre des pierres (intifada) en Palestine. Enfants trop vite grandis, entre la misère et l’espoir, et pour qui seule une attitude franchement et totalement positive pourra signifier la réussite… ou la mort, telle est peut-être la vraie leçon universelle que nous laisse le personnage de Gavroche.

II – proposition de Mme Tatem

1. Introduction

Les Misérables présentent plusieurs personnages emblématiques que tout un chacun connaît même s’il n’a pas lu le roman de Victor Hugo. Gavroche, le fils des Thénardier, est ainsi entré dans la mémoire collective comme le type du gamin de Paris. Dans ce passage, l’enfant ramasse, au mépris de la mort, les cartouches non brûlées pour les insurgés des barricades. Comment ce texte donne-t-il à ce personnage une dimension universelle ? Nous tenterons de répondre en montrant que le lecteur assiste à un spectacle à la fois drôle et tragique qui a l’envergure de l’épopée.


2. Rédaction de la première partie

Cet épisode romanesque se caractérise par une double tonalité : il est traité de façon humoristique mais ausi tragique.

Ce qui frappe d’emblée, c’est le décalage entre la situation plus que dangereuse et l’attitude absolument insouciante du garçon ; le champ lexical du monde enfantin nous rappelle sans cesse l’âge du héros : « s’amuser, cache-cache, jouait, jeu, couplet, pieds de nez, pichenette ». La drôlerie naît du refus de se comporter comme il le devrait alors qu’il est pris pour cible par les soldats. La métaphore du « moineau becquetant les chasseurs » exprime son attitude provocante et ludique : les rôles sont inversés ; Gavroche nargue les tireurs, se plaît à les ridiculiser dans un jeu qui peut lui coûter la vie. L’énumération de verbes à l’imparfait de répétition nous le prouve : » Il se couchait, puis se redressait, s’effaçait (…), puis bondissait, disparaissait, reparaissait, se sauvait, revenait, ripostait (…), et cependant pillait les cartouches, vidait les gibernes et remplissait son panier. » Le romancier crée ici un rythme ternaire qui rend compte de la virtuosité d’un Gavroche virevoltant pour éviter les balles. On remarque aussi une gradation ascendante entre les trois groupes verbaux qui terminent la phrase. Toute une série d’oppositions révèlent la portée comique de l’extrait : « Une cinquième balle (…) un troisième couplet », « taquinait la fusillade », « mitraille (…) pieds de nez », « la barricade tremblait ; lui, il chantait ». En cette circonstance périlleuse, l’enfant reste un enfant ; Hugo se moque ainsi des soldats qui, en définitive, sont symboliquement vaincus par un gamin de douze ans. Mais le tragique survient quand l’horrible réalité arrête le jeu.

Plusieurs indices annoncent la mort du petit héros. Dès le début de l’extrait, le groupe nominal « Gavroche fusillé » exprime clairement le destin de ce dernier. Nous savons à l’avance l’issue de cet « effrayant jeu de cache-cache avec la mort » : il semble, dans cette image, que la mort s’amuse autant que sa future victime. La personnification des balles montre aussi qu’elle se divertit en participant au jeu qui lui est proposé : « Les balles couraient après lui ». Le sentiment tragique naît de la certitude que c’est elle qui finira par l’emporter. Pour le moment elle joue avec l’enfant comme un chat avec une souris. L’allégorie de la mort montre d’elle un visage horrible qui rappelle au lecteur qu’elle est la maîtresse du jeu : « la face camarde du spectre ». Par ailleurs, les réactions des gardes nationaux et des soldats manifestent bien sa victoire à venir : en effet, ils « riaient en l’ajustant ». L’antithèse entre le verbe et le gérondif illustre la cruauté de la mort qui se rit de l’être innocent qu’elle va abattre. De même, les réactions de l’autre bord, celui des insurgés, confirment l’ambiance tragique de cette scène : ceux-ci, « haletant d’anxiété, le suivaient des yeux. La barricade tremblait (…) ». Ils sont conscients que cette situation est affreuse. Le point de vue omniscient du narrateur permet de se trouver tantôt du côté des soldats tantôt du côté des insurgés. Mais au moment où Gavroche tombe, c’est le point de vue pathétique de ces derniers qui prime avec, à nouveau, l’emploi d’une métonymie pour les désigner : « Toute la barricade poussa un cri ». Le garçon, le visage ensanglanté, se relève et chante, mais une seconde balle l’empêche de finir son couplet révolutionnaire : « Il n’acheva point. (…) il s’abattit la face contre le pavé, et ne remua plus ». Les phrases sont brèves et simples pour dire la fin tragique du « gamin fée ».

Pour aller plus loin

On peut étudier la parenté entre le Gavroche de Victor Hugo et le personnage du jeune garçon marchant à côté de la Liberté dans le tableau de Delacroix La liberté guidant le peuple.

Séquence 6 : DS / Raymond Queneau

507 – Devoir surveillé du 27/03/2008

Préparation au commentaire de texte

Sujet

Texte

Raymond Queneau,Les fleurs bleues, Chapitre IV (extrait)

A la terrasse du café, des couples pratiquaient le bouche à bouche, et la salive dégoulinait le long de leurs mentons amoureux; parmi les plus acharnés à faire la ventouse se trouvaient Lamélie et un ératépiste, Lamélie surtout, car l’ératépiste n’oubliait pas de regarder sa montre de temps à autre vu ses occupations professionnelles. Lamélie fermait les yeux et se consacrait religieusement à la languistique.

Vint la minute de séparation; l’ératépiste commença lentement les travaux de décollement et, lorsqu’il fut parvenu à ses fins, cela fit flop. Il s’essuya du revers de la main et dit:

- Faut que je me tire.

Et il répandit un peu de bière sur ses muqueuses asséchées.

Hagarde, Lamélie le regarde.

Il tire des francs de sa poche et tape avec sur la table. Il dit d’une voix assez haute:

- Garçon.

Lamélie, hagarde, le regarde.

Le garçon s’approche pour encaisser. A ce moment, Lamélie se jette sur son ératépiste et repique au truc. L’autre se voit obligé de s’exprimer par signes, faciles d’ailleurs à comprendre. Le garçon ramasse la monnaie. Le spectacle ne l’excite pas du tout. Il s’éloigne.

L’ératépiste entreprend un nouveau décollement.

Il y parvient en douceur et cela fait de nouveau flop. Il s’essuie les lèvres du revers de la main et dit:

- Cette fois-ci, il faut que je me tire.

Il assèche son demi et se lève prestement. Lamélie le regarde, hagarde. Elle suit le mouvement et dit:

- Moi, je ne suis pas pressée, je vais faire un parcours avec toi.

- Tu sais, asteure y a de la circulation, on prend toujours du retard, j’aurai pas de temps pour bavarder avec toi.

- Je te verrai tourner ta petite manivelle sur ton ventre, j’entendrai ta voix quand t’annonceras les sections, je serai heureuse comme ça.

- T’es pas sûre de monter. Va y avoir du monde.

Il y en avait. Deux cent dix-sept personnes poireautaient, formant une queue constituée conformément aux instructions officielles. Lamélie attendit, les gens montèrent, l’autobus s’emplit et elle était encore bien loin dans le flot des postulants ors que son jules fit, élégant, d’un geste, basculer la pancarte complet et tira sur sa petite sonnette. Tout cela démarra. L’ératépiste fit un geste de la main qui s’adressait peut-être à quelqu’un perdu dans la file d’attente qui ne cessait de s’allonger. Lamélie fit demi-tour et voulut fendre le flot de la foule en file. Comme elle essayait de remonter le courant, on lui disait:

- Alors, cocotte, on sait pas ce qu’on veut?

- Encore une qui croit qu’on n’a pas assez d’emmerdements comme ça.

- Les bonnes femmes qui changent d’avis, c’est un monde.

- Ça fait la queue à l’envers et ça s’étonne qu’on soit pas content.

Une dame gueula:

- Vous n’avez pas fini de pousser? Vous n’avez pas vu mon ventre?

- Si vous êtes enceinte, répliqua Lamélie hargneusement, faut vous mettre avec les priorités.

Un citoyen qui n’avait rien compris à ce dialogue explosa.

- Place! qu’il gueula, place! une femme enceinte se trouve mal!

- Place! nom de Dieu, vous avez pas compris? Une femme enceinte!

- Faites place! Respect aux femmes enceintes et gloire à la maternité! – Place! Place!

- Faites place!

Lamélie se trouva rejetée hors du flot des attentistes, comme une touffe de varech sur une plage normande. Elle s’éloigna. Elle repassa devant le café; des couples, à la terrasse, y faisaient toujours la ventouse. Toute mélancolo, Lamélie rejoignit le quai.

Légende :

Consignes

  1. Positionner le texte dans la narration du roman : qui sont les personnages? que font-ils? que vont-ils devenir? Etc. (2 pts.)

  2. Relever les éléments significatifs du texte en vue de son analyse : descriptions / dialogues, élément lexicaux, etc. (3 pts.)

  3. Sur la base des éléments relevés, identifier et commenter la tonalité du passage dans un paragraphe rédigé. (3 pts.)

  4. Relever les autres éléments d’analyse permettant de dégager le sens de ce passage. (2 pts)

  5. Rédiger le plan et l’introduction d’un commentaire de ce texte (1 page mini. - 5 pts.)

N.B. :


Proposition de corrigé

1. Situation du passage

Situé au début du roman, alors que la situation des personnages les uns par rapport aux autres commence à s’éclaircir, ce texte concerne indirectement l’un des deux personnages principaux : Cidrolin, contemporain amateur de sieste et d’essence de fenouil. Sa fille Lamélie, qui lui tient lieu de gouvernante, ne va pas tarder à l’abandonner seul sur sa péniche pour épouser « l’ératépiste » dont il est question ici. Il s’agit, de la part de Queneau, d’une excursion rarissime en dehors des personnages principaux, que le récit ne quitte pratiquement jamais : ici, Lamélie et son fiancé sont seuls, dans une séquence qui n’est pas sans rappeler le thème des Exercices de style du même auteur.

2. Exploitation du texte : apparences

Cf. texte sujet

3. Tonalité

Le choix du lexique est un élément déterminant du style, et dans ce domaine Queneau est sans aucun doute un client sérieux. Dans ce passage, la quasi-totalité des dialogues, ainsi que la plupart des descriptions, font appel à un langage imagé, issu du quotidien populaire, ce qui est d’emblée plutôt inhabituel pour l’objet à réputation littéraire qu’est en principe un roman. L’auteur exploite ici une large palette de possibilités, de termes connus du langage familier (se tirer, repiquer au truc, asteure, cocotte, poireauter, gueuler) à des expressions plus complexes ou à des dialogues entiers. Il y ajoute d’autres expressions imagées qu’il forge de façon créative : pratiquer le bouche à bouche -> faire la ventouse, faire flop, et des métaphores incongrues ; touffe de varech (algues) sur une plage normande, mais aussi des néologismes, mots fabriqués tout exprès : ératépiste (pour employé de la RATP), languistique (pratique du baiser « à la française ») , ou détournés : attentistes (qui mot péjoratif qui désigne une attitude réservée ou craintive face aux événements) au lieu d’attendants (par exemple). Il n’hésite pas enfin à jouer sur des répétitions de phrases entières, en jouant sur la place et la consonnance des mots (hagarde / regarde).

Cette grande variété lexicale crée un effet de foisonnement, qui est d’ailleurs perceptible tout au long du roman : les mots se succèdent, recherchés, triviaux, rares ou très communs, avec une dominante plutôt amusante suscitée par la sensation permanente d’un jeu pratiqué par l’auteur et auquel chaque lecteur, quelles que soient ses capacités ou son niveau de lecture, est appelé à s’associer. La tonalité dominante est donc l’humour, et une relative légèreté, suggérée à la fois par le lexique et par le récit qu’il supporte.

4. Pistes complémentaires pour l’analyse

Sur le plan narratif, ce passage contient en fait deux scènes, avec une transition : la première scène rassemble Lamélie et « son jules » ; elle semble très amoureuse, et lui est en retrait. Pressé par sa fiancée, il la laisse l’accompagner jusqu’à l’arrêt du bus dont il est contrôleur et pat sans elle, ce qui ouvre sur la seconde scène, où Lamélie esseulée a maille à partir avec la foule des usagers qui se méprennent sur ses attentions. Après avoir perdu son amour et la face, Lamélie rentre à la péniche. Lamélie apparaît ici comme dupe : victime de son envie de se « caser », elle tombe amoureuse d’un premier venu pour échapper à l’emprise de son père et à sa vie trop terne ; victime de l’indifférence de son fiancé, puis des circonstances, et enfin de la bêtise de la foule, elle finit proprement rejetée, et n’a plus qu’à regagner la péniche où elle reprendra ses fonctions de servante de son père.

5. Plan et introduction / commentaire

a. Plan
b. Introduction

L’appartenance passagère de Raymond Queneau (1903-1976) à la nébuleuse surréaliste ne suffit pas à le qualifier d’écrivain surréaliste ; tout comme le surréalisme ne se rattache qu’à une partie de sa carrière, l’écriture, sous forme de romans et de poésie, n’a constitué qu’une des activités de ce touche-à-tout de génie, également créateur et animateur de l’OuLipo,  éditeur (en particulier de Boris Vian), ou encore mathématicien. Sans relever du surréalisme, son roman Les fleurs bleues, paru en 1965, s’y rattache par ses aspects oniriques (liés aux rêves), mais cela est loin de constituer son caractère essentiel : comme nous le révèle la lecture de ce passage, qui reflète à ce titre le reste du roman, Queneau est en effet un joueur de mots et un télescopeur de langage, manifestant une érudition qui s’étend du plus savant au plus populaire, voire au plus trivial, ou encore à la création pure et simple. C’est donc d’abord sur l’exploration ces aspects formels que se basera le commentaire, avant d’aborder la narration et la construction de cette scène de la vie quotidienne.

Séquence 6 : DS / Georges Perec

510 – Devoir surveillé du 28/03/2008

Préparation au commentaire de texte

Sujet

Texte

Légende :
les couleurs successives permettent d’identifier les différentes énumérations ;
les dégradés signalent, selon les cas, des listes à expansion ou emboîtées

Georges Perec, Les choses, chapitre 10 (extrait)

Une enquête agricole les mena dans la France entière. Ils allèrent en Lorraine, en Saintonge, en Picardie, en Beauce, en Limagne. Ils virent des notaires de vieille souche, des grossistes dont les camions sillonnaient le quart de la France, des industriels prospères, des gentlemen-farmersqu’escortait en tout temps une meute de grands chiens roux et de factotums aux aguets.

Les greniers regorgeaient de blé ; dans ­les grandes cours pavées, les tracteurs rutilants faisaient face aux voitures noires des maîtres. Ils traversaient le réfectoiredes ouvriers, la gigantesque cuisine où s’affairaient quelques femmes, la salle commune ­au plancher jauni, où nul ne se déplaçait que sur des patins de feutre, avec sa cheminée imposante, le poste de télévision, les fauteuils à oreilles, les huches de chêne clair, les cuivres, les étains, les faïences. Au bout d’un corridor étroit, tout imprégné d’odeurs, une porte s’ouvrait sur le bureau. C’était une pièce presque petite à force d’être encombrée. A côté d’un vieux téléphone à manivelle, accroché au mur, un planning résumait la vie de l’exploitation, les emblavages, les projets, les devis, les échéances ; un tracé éloquent témoignait de rendements records. Sur une tablesurchargée de quittances, de feuilles de paye, de mémoires et de paperasses, un registre relié de toile noire, ouvert à la date du jour, laissait voir les longues colonnes d’une comptabilité florissante. Des diplômes encadréstaureaux, vaches laitières, truies primées – voisinaient avec des fragments de cadastres, avec des cartes d’état-major, des photos de troupeaux et de basses-cours, des prospectus en quadrichromie de tracteurs, de batteuses, d’arracheuses, de semoirs.


C’est là qu’ils branchaient leurs magnétophones. Ils s’enquéraient gravement de l’insertion de l’agriculture dans la vie moderne, des contradictions de l’exploitation rurale française, du fermier de demain, du Marché commun, des décisions gouvernementales en matière de blé et de betterave, de la stabulation libre et de la parité des prix. Mais leur esprit était ailleurs. Ils se voyaient aller et venir dans la maison désertée. Ils montaient des escaliers cirés, pénétraient dans des chambres aux volets clos qui sentaient le remugle. Sous des housses de toile bise reposaient des meubles vénérables. Ils ouvraient des placards hauts de trois mètres, pleins de draps parfumés à la lavande, de bocaux, d’argenterie.

Lexique :
  • emblavages : du verbe emblaver , synonyme d’ensemencer ou de semer

Consignes

  1. Positionner le texte dans la narration du roman. (2 pts.)
  2. Relever les éléments significatifs du texte en vue de son analyse : descriptions / dialogues, élément lexicaux, etc. (3 pts.)
  3. Sur la base des éléments relevés, identifier et commenter la tonalité du passage dans un paragraphe rédigé. (3 pts.)
  4. Repérer les autres éléments d’analyse permettant de dégager le sens de ce passage. (2 pts.)
  5. Rédiger le plan et l’introduction d’un commentaire de ce texte (1 page mini. - 5 pts.)


N.B. :


Proposition de corrigé

1. Situation du passage

Situé dans la première partie du roman, cet extrait présente une des expériences professionnelles du couple de psychosociologues formé par Sylvie et Jérôme, qui constitue à la fois l’essentiel des personnages du livre et son objet d’étude. Le chapitre présente l’une des dernières enquêtes du couple avant sa décision de partir pour la Tunisie, qui consitue l’élément perturbateur du récit ; le schéma narratif est en effet très particulier ici, où l’exposé de la situation initiale se confond avec la première partie et occupe la moitié du roman. Pour Pérec, c’est aussi une nouvelle occasion de présenter un aspect des « choses » qui donnent leur titre au livre.

2. Exploitation du texte : apparences

Cf. texte sujet

3. Tonalité

Le texte semble à première vue peu attirant : très descriptif, comme le reste du roman, il ne contient aucune action significative. La tonalité dominante semble donc bien être celle de l’ennui : ennui d’un travail répétitif d’enquêtes exhaustives, ennui de lieux différents et pourtant toujours similaires, partageant des caractéristiques communes exposées sous la forme d’une litanie de listes diverses, comme si chacun des éléments évoqués devait trouver sa place dans la description d’une ferme française… c’est peut-être cette obsession des listes qui est d’abord caractéristique du texte (et plus largement d’ailleurs du roman) ; énumérations simples, comme celle des régions visitées, mais qui deviennent très vite, comme dans le cadre d’une progression organisée, plus complexes : listes « à expansion » dont chaque élément est complété par des qualificatifs, notaires de vieille souche, grossistes aux camions sillonnant la France, industriels prospères… plus loin, on trouve également des listes emboîtées dans d’autres ; la description des intérieurs de ferme démarre ainsi comme une liste « à expansion » : le réfectoire des ouvriers, la gigantesque cuisine <…>, puis l’évocation d’une pièce particulière débouche sur une liste secondaire : la salle commune <…> avec sa cheminée imposante, le poste de télévision <…>les faïences. Chaque élément apparaît ainsi comme une accumulation de sous-éléments, eux-même composés de détails, etc., accumulation de choses contenues les unes dans les autres comme des poupées russes, et qui ne contiennent finalement que le vide des sensations et des désirs du couple.

Le côté fastidieux de cette accumulation, en même temps qu’il est caractéristique à la fois de la société de consommation et du travail d’enquête et de recueil du couple, participe bien entendu à cette tonalité d’ennui ; mais le choix des « choses », leur qualité, et donc le choix du lexique employé pour leur description n’y est pas non plus étranger ; au-delà de la simple litanie s’établit ainsi un répertoire de lieux communs , que l’on peut par exemple détailler dans la description du bureau, forcément encombré puisqu’on n’y passe que le temps nécessaire à la paperasse : dans une ferme, la vie est ailleurs… La description n’a pas la précision chirurgicale de Balzac, mais les accessoires sont là, en détail : le vieux téléphone, à manivelle – marque de l’ancien et de l’inutilité -, est accroché au mur (où se trouve également) un planning quelconque, mais qui va donner lieu à une nouvelle liste emboîtée de tout ce qu’un planning est susceptible de porter d’événements qui rythment la vie d’une exploitation agricole : emblavages (mot savant et quelque peu incongru ici, mais qui renforce le côté désuet de la pièce) semailles, projets, devis, échéances ; une table, quelconque elle aussi, mais remarquable par l’entassement de ce qu’elle porte, ouvre elle aussi sur une liste tout aussi significative : quittances, feuilles de paye et mémoires rejoignent le lot des autres paperasses inutiles et pourtant obligatoires ; puis retour aux murs, non mentionnés, mais où se trouvent manifestement le reste des divers objets qui y sont accrochés et qui emplissent une dernière liste, cele-là emboîtée dans un élément en quelque sorte inexistant, avec ses animaux de concours, ses repères géographiques et ses inévitables publicités.

Le tout a un goût de vieille France et de poussière, d’un monde qui est dans le même mouvement rejeté comme trop vieux, désuet, et désiré (ou désirable) par son côté cossu, ancien, cet aspect de luxe qui est fait non pas de la possession mais du comportement inné qui va avec, comme le rappellent les figures de gentlemen-farmers et de leur train.

4. Pistes complémentaires d’analyse

Au-delà des apparences, d’accès plus immédiat, une deuxième lecture permet d’envisager la structure du passage, qui peut être découpé en deux parties, l’une longue et exclusivement descriptive, l’autre plus narrative, mais toujours à la façon distanciée de Pérec qui observe ses personnages un peu comme un zoologue déduit les comportements des animaux qu’il étudie aux traces que ceux-ci laissent dans l’environnement.

Plus que les listes, qui constituent dans le roman un effet de style récurrent, c’est la répartition des temps verbaux qui pourra aiguiller le lecteur attentif : le début du texte est au passé simple, et même si le sujet de la première phrase de l’extrait n’est pas le couple, le pronom les le désigne expressément ; sans doute faudra-til préciser en introduction du commentaire qui sont les personnages principaux du roman… les ils allèrent et ils virent, qui ouvrent chacun deux listes, participent également de la narration.

Le deuxième paragraphe, qui emploie quasi-exclusivement l’imparfait, consiste en une longue description dont les protagonistes sont absents, et dont nous avons déjà exploité les aspects. Les personnages reviennent à la fin de l’extrait, qui les voit s’intégrer au décor à travers une utilisation de l’imparfait de narration, et qui nous les montre dans l’exercice de leur obsession : le fantasme de la possession, au point que l’on peut s’interroger sur la réalité des dernières phrases de l’extrait : Ils montaient, etc. ; montaient-ils en rêve, ou au cours de leurs visites ?

Plutôt que de parler d’alternance description/narration, li vaudrait donc mieux parler d’un court passage narratif, d’ordre très général et vague, et qui ouvre sur une description en deux temps : une description de l’environnement, qui débute dès la deuxième phrase du texte, et une description du comportement du couple dans cet environnement, qui occupe le troisème paragraphe.

5. Plan et introduction / commentaire

a. Plan
b. Introduction

Georges Perec (1936-1982), écrivain français, n’a aucun rapport direct avec le surréalisme, même par sa participation active à l’OuLiPo : né trop tard, son oeuvre est marquée par une recherche formelle permanente en même temps que par ses qualités littéraires et narratives, qui constituent pourtant toujours des détournements du récit classique ; c’est aussi d’une façon détournée, à travers l’accumulation descriptive d’objets, dans un roman sans aucun dialogue et à la trame narrative évanescente, qu’il s’est livré, dans son premier livre, Les choses, paru en 1965 et lauréat du prix Renaudot la même année, à une évocation de la société de consommation qui peut apparaître aujourd’hui comme une critique sans concession. Le prétexte narratif du roman est formé des tribulations d’un couple de jeunes psychosociologues, Jérôme et Sylvie, à travers la société française de l’époque et de sa frénésie consumériste qu’il sont sensés étudier sans être capables, à aucun moment, de s’en détacher, alouettes prisonnières d’un miroir qu’ils seraient pourtant à même de voir et qui les amènera à la réalisation de tous leurs désirs, c’est à dire au vide. Tiré d’un roman expérimental à plus d’un titre, ce texte est situé au début du chapitre 10, c’est à dire environ à la moitié du roman, mais reste préalable au démarrage de « l’action », qui ne commencera véritablement qu’à la fin du livre. En même temps qu’il peaufine la mise en place de la situation initiale du schéma narratif, Perec livre ici une description cumulative d’un univers à travers les choses qu’il contient et au milieu desquelles ses personnages se meuvent comme des animaux de laboratoire. Bien qu’il s’agisse de toute évidence d’un univers agricole, c’est dans sa forme caractéristique d’accumulation énumérative que la forme du texte l’évoque le mieux, comme c’est dans sa construction, centrée autour de descriptions successives et emboîtées, que le lecteur ressent le poids et les multiples valeurs des choses.

Séquence 6 : DS / Boris Vian

508 – Devoir surveillé du 26/03/2008

Préparation au commentaire de texte

Sujet

Texte

Boris Vian, L’écume des jours, chapitre LXIV

L’Administration donnait beaucoup d’argent à Colin mais c’était trop tard. Il devait maintenant monter chez des gens tous les jours, on lui remettait une liste, il annonçait les malheurs un jour avant qu’ils n’arrivent. Tous les jours, il se rendait dans les quartiers populeux ou bien dans les beaux quartiers. Il montait des tas de marches, il était très mal reçu; on lui lançait à la tête des objets lourds et blessants, et des mots durs et pointus, et on le mettait à la porte; il touchait de l’argent pour cela et donnait satisfaction; il conserverait ce travail. La seule chose qu’il pouvait faire, c’était cela, se faire mettre à la porte. La fatigue le tenaillait, lui soudait les genoux, lui creusait la figure, ses yeux ne voyaient plus que les laideurs des gens, sans cesse il annonçait les malheurs à venir; sans cesse on le chassait, avec des coups, des cris, des larmes, des injures.

Il monta les deux marches, et suivit le couloir et frappa, reculant d’un pas sitôt après; quand les gens voyaient sa casquette noire, ils savaient et le maltraitaient, mais Colin ne devait rien dire, on le payait pour ce travail. La porte s’ouvrit, il prévint et partit, un lourd morceau de bois l’atteignit dans le dos, il chercha sur la liste le nom suivant, et vit que c’était le sien. Alors, il jeta sa casquette et il marcha dans la rue, et son coeur se fit de plomb, car le lendemain, Chloé serait morte.

Consignes

  1. Positionner le texte dans la narration du roman. (2 pts.)

  2. (3 pts.) Relever les éléments lexicaux suggérant :

  1. Sur la base des éléments relevés, identifier et commenter la tonalité du passage dans un paragraphe rédigé. (3 pts.)

  2. Repérer les autres éléments d’analyse permettant de dégager le sens de ce passage. (2 pts.)

  3. Rédiger le plan et l’introduction d’un commentaire de ce texte (1 page mini. – 5 pts.)

N.B. :


Proposition de corrigé

1. Situation du passage

Ce passage se situe vers la fin du roman : Colin a enfin trouvé un travail stable et rémunérateur qui lui rapporte suffisamment pour subvenir aux soins de Chloé et rembourser ses dettes ; il vit très mal ce travail horrible, qui consiste à annoncer aux gens leurs malheurs un jour à l’avance, et par lequel il apprendra lui-même la nouvelle de la mort prochaine de Chloé. Cette disparition annoncée constitue la plus grande des pertes de Colin, après celle de sa fortune, de Nicolas et de tout ce qui constituait sa vie insouciante ; mais ce deuil ne signe pas encore la fin des malheurs de Colin. Par rapport au thème du roman, résumé en « vie et mort d’un amour », ce chapitre annonce en fait la mort de l’être aimé et non pas celle de l’amour.

2. Exploitation du texte

Légende (Q. 2) :

  • répétition, routine,

  • agressivité, violence,

  • tristesse.

Bornes (Q. 4)

L’Administration donnait beaucoup d’argent à Colin mais c’était trop tard. Il devait maintenant monter chez des gens tous les jours, on lui remettait une liste, il annonçait les malheurs un jour avant qu’ils n’arrivent. Tous les jours, il se rendait dans les quartiers populeux ou bien dans les beaux quartiers. Il montait des tas de marches, il était très mal reçu; on lui lançait à la tête des objets lourds et blessants, et des mots durs et pointus, et on le mettait à la porte; il touchait de l’argent pour cela et donnait satisfaction; il conserverait ce travail. La seule chose qu’il pouvait faire, c’était cela, se faire mettre à la porte. La fatigue le tenaillait, lui soudait les genoux, lui creusait la figure, ses yeux ne voyaient plus que les laideurs des gens, sans cesseil annonçait les malheurs à venir; sans cesse on le chassait, avec des coups, des cris, des larmes, des injures.


Il monta les deux marches, et suivit le couloir et frappa, reculant d’un pas sitôt après; quand les gens voyaient sa casquette noire, ils savaient et le maltraitaient, mais Colin ne devait rien dire, on le payait pour ce travail. La porte s’ouvrit, il prévint et partit, un lourd morceau de bois l’atteignit dans le dos, il chercha sur la liste le nom suivant, et vit que c’était le sien. Alors, il jeta sa casquette et il marcha dans la rue, et son coeur se fit de plomb, car le lendemain, Chloé serait morte.

3. Tonalité

Au-delà des éléments lexicaux précédemment relevés : routine, agressivité (subie) et tristesse, c’est la résignation qui apparaît comme dominante dans ce court chapitre. Quel que soit son sort, quelques misérables que soient désormais ses conditions d’existence, réduit à subir la colère des futures victimes des malheurs qu’il leur annonce, Colin est prêt à endurer son sort.
Nous l’avons déjà vu : s’il n’est pas vraiment ce qu’il est convenu d’appeler « un homme de devoir », Colin est un garçon honnête et un bon camarade. Bien que futile et superficiel, il n’abandonne aucun de ceux qu’il aime : Chloé, mais aussi Chick et Alise, Nicolas et Isis… Colin n’est pas de ceux qui abandonnent. Brusquement rappelé à une réalité qu’il avait pu ignorer jusque là, Colin s’y résigne, sans doute plus par fidélité à ses propres sentiments que par amour véridique.
Résigné, tout le chapitre est là pour nous montrer à quel point Colin l’est devenu : résigné à faire, pour l’argent qu’il lui rapporte et qui lui permet de soigner Chloé, un métier horrible et détestable, et résigné aussi, pour les mêmes raisons, à en subir toutes les conséquences : les coups, les mauvais traitements, mais surtout le rejet qu’éprouve naturellement tout être humain face à une mauvaise nouvelle.

4. Pistes complémentaires pour l’analyse

Pour un lecteur non averti, la première chose qui frappe n’est sans doute pas le côté mélancolique de ce chapitre, mais son aspect irréel : à force de fréquenter l’oeuvre et les inventions incongrues et loufoques de Boris Vian glisse dans le quotidien de ses personnages, on en arrive à oublier que le rôle d’annonceur de malheurs à l’avance dévolu à Colin n’existe pas dans notre univers… il ne fait néanmoins aucun doute que cette version monstrueuse et moderne du porteur de mauvaises nouvelles mâtiné de bouc émissaire susciterait, si elle existait, un accueil similaire de la part des destinataires ! L’auteur mêle ainsi sans cesse réel et irréel, dans un jeu permanent qu’il est essentiel de rappeler, ne serait-ce que pour mieux l’oublier ensuite.

Ceci posé, le chapitre peut être divisé en deux parties, suivant les paragraphes : le premier, rédigé essentiellement à l’imparfait d’habitude, est descriptif, avec une accentuation du côté routinier et déprimant de tout travail, à quoi s’ajoute l’aspect particulièrement déplaisant de celui de Colin, qui s’apparente à la fois au métier d’huissier et à la fonction de bouc émissaire. Le second est à dominante narrative, avec l’usage quasi-exclusif du passé simple (temps du récit, succession des événements et des actions).

Une analyse fine du lexique est également une entrée possible, avec l’emploi de termes du quotidien : « beaucoup d’argent« , « monter chez les gens« , « des tas de marches« … mais on y trouve également des mots étonnants dans le contexte quotidien ainsi installé (et qui donne d’autant plus de corps à l’idée de routine attachée au travail), comme le côté « pointu » des mots, image inhabituelle, qui serait poétique si elle n’était pas aussi isolée dans le contexte. La fin du chapitre est elle aussi évocatrice, toujours à sa manière quotidienne : « il jeta sa casquette et il marcha dans la rue, et son coeur se fit de plomb » : jeter sa casquette, c’est un mouvement d’humeur compréhensible ; marcher dans la rue est une chose habituelle, mais ici chargée de tout le malheur d’un deuil annoncé, marquée par l’égarement et le hasard ; le coeur de plomb, quant à lui, marque le poids du deuil et de la fatalité.

On peut aussi s’intéresser à la façon dont le chapitre se présente comme enfermé entre deux jalons, qui en forment les limites tout en se répondant, ce qui crée un effet supplémentaire d’enfermement, mais constitue également une sorte de « boucle » littéraire intéressante. On peut en effet relier assez facilement la première phrase du chapitre avec la fin de la dernière :

« L’Administration donnait beaucoup d’argent à Colin mais c’était trop tard [...] car le lendemain Cholé serait morte.« 

Cette dernière mention donne à ce point son sens à la première phrase que tout le reste, du coup, peut paraître superflu au regard de la progression du récit ; en quelques mots, tout est dit : le reste n’est en fait qu’un décor, une occasion pour l’auteur de montrer comme il l’entend l’influence de la réalité (mais d’une réalité inventée, onirique, « surréelle » tout en faisant référence à des mythes et à des comportements très anciens) sur son « héros ».

On s’arrêtera là, sans pour autant avoir tout épuisé : il y a encore à creuser dans le découpage entre description et narration, ou dans les mentions de Colin, ou encore dans le rythme à dominante binaire du texte et le rapport permanent que Boris Vian entretient, dans ce roman, avec la musique.

5. Plan et Introduction / commentaire

a. Plan
b. Introduction

Roman d’un jeune écrivain de 26 ans, L’écume des jours est aussi un roman de la jeunesse et des passions qui l’accompagnent ; rien d’étonnant alors si cette prose qui a aujourd’hui 60 ans – le roman est paru en 1946 – recèle toujours une part d’actualité pour des lecteurs adolescents. Il n’y a pourtant pas grand-chose d’amusant dans ce récit d’une descente aux enfers de la réalité quotidienne, à travers la naissance et la mort de l’amour entre Colin, le personnage principal, et la belle Chloé dont ce bref chapitre annonce la mort, à la suite d’une longue et douloureuse maladie. Démarré dans l’insouciance et les plaisirs d’une jeunesse dorée, le roman amène Colin à se confronter successivement à la pauvreté et à la mort, sans pourtant jamais entamer sa fidélité à ses amis et à son amour. Mais la réalité et le quotidien dont nous parle Boris Vian, si on peut en ressentir tous les effets déprimants liés à la routine, ne sont pas tout à fait ceux que nous connaissons : des décalages, un dévoiement, présentés pourtant avec un naturel parfait, embarquent le lecteur dans un monde un peu étrange, mais où les sensations et les sentiments restent bien humains et d’une actualité parfaite. Après ces aspects de la réalité, nous aborderons successivement la tonalité du texte, avec ses dominantes de routine liée au travail, d’agressivité suscitée par le métier très spécial de Colin, et la tristesse et la résignation du personnage ; puis nous examinerons la construction du chapitre, qui oscille entre la description du quotidien et le récit des mésaventures de Colin, avant de conclure sur le rappel inexorable de la fatalité, dans lequel ce texte est comme enfermé.

Portraits croisés

Commentaire de texte

Texte : portrait du couple Cibot, extrait du cousin Pons (H. de Balzac) :

Exploitation du texte et prise de notes – analyse préliminaire et détermination des axes de problématique possibles

Texte (avec repérage)
Notes (brouillon, réflexions)
La rue de Normandie est une de ces rues au milieu desquelles on peut se croire en province : l’herbe y fleurit, un passant y fait événement, et tout le monde s’y connaît. Les maisons datent de l’époque où, sous Henri IV, on entreprit un quartier dont chaque rue portât le nom d’une province, et au centre duquel devait se trouver une belle place dédiée à la France. L’idée du quartier de l’Europe fut la répétition de ce plan. Le monde se répète en toute chose partout, même en spéculation. La maison où demeuraient les deux musiciens est un ancien hôtel entre cour et jardin ; mais le devant, sur la rue, avait été bâti lors de la vogue excessive dont a joui le Marais durant le dernier siècle. Les deux amis occupaient tout le deuxième étage dans l’ancien hôtel. Cette double maison appartenait à monsieur Pillerault, un octogénaire, qui en laissait la gestion à monsieur et madame Cibot, ses portiers depuis vingt-six ans.Or, comme on ne donne pas des émoluments assez forts à un portier du Marais, pour qu’il puisse vivre de sa loge, le sieur Cibot joignait à son sou pour livre et à sa bûche prélevée sur chaque voie de bois, les ressources de son industrie personnelle ; il était tailleur, comme beaucoup de concierges. Avec le temps, Cibot avait cessé de travailler pour les maîtres tailleurs ; car, par suite de la confiance que lui accordait la petite bourgeoisie du quartier, il jouissait du privilége inattaqué de faire les raccommodages, les reprises perdues, les mises à neuf de tous les habits dans un périmètre de trois rues. La loge était vaste et saine, il y attenait une chambre. Aussi le ménage Cibot passait-il pour un des plus heureux parmi messieurs les concierges de l’arrondissement.

Cette première partie du texte est consacrée à la description, ou plutôt à l’évocation du lieu. Puisqu’ »on peut se croire en province », c’est donc que nous sommes à Paris, comme le confirment les mentions de « quartier de l’Europe » et de « Marais », qui sont en effet des quartiers de la capitale. Comme souvent dans les descriptions du Paris de Balzac, quartier et maison ne manquent pas de pittoresque ; on peut, dans ce cadre, se rappeler que les grands travaux effectués sous le second empire (1852-1870) n’ont pas encore commencé à la date où Balzac écrit, et que  le centre de Paris, pour l’essentiel, a encore peu ou prou le même aspect qu’à la renaissance (d’où la référence à Henry IV)…

Au milieu de cette évocation, Balzac intercale une considération d’ordre général « Le monde se répète en toute chose, etc. », qui marque une de ces irruptions du narrateur dans le récit dont Balzac est coutumier et qui rattachent ce passage, comme le roman dont il est issu, au vaste projet que forme La Comédie humaine.

On peut également biffer, sans hésiter, les mentions du texte qui nous sont inutiles : les deux musiciens et amis, qui sont probablement des personnages plus importants du roman, ne nous concernent pas ici : le portrait croisé évoqué par le titre est bien évidemment celui du couple de concierges qui suit.

Cette phrase-clé assure la transition entre la description du lieu et le portait du couple Cibot.

Visiblement, le métier de portier envisagé ici par Balzac (et donc tel qu’il devait être à l’époque) ne se résume pas aux activités traditionnelles des actuels concierges et autres gardiens d’immeubles : outre le gardiennage des portes et le ménage des parties communes, la mention de « gestion » implique que les portiers devaient également se charger de l’encaissement des loyers pour le compte du propriétaire.

Considérations sur le métier de portier (ou de concierge), débouchant sur quelques détails de la situation du couple Cibot et plus particulièrement du mari.

Les émoluments (c’est-à-dire la rémunération ou le salaire) des concierges sont réduits ; le travail qu’ils fournissent, même s’il s’accompagne de servitudes importantes (comme celle de se réveiller la nuit pour ouvrir aux locataires noctambules), n’est pas considéré comme fatigant, et se trouve, dans l’esprit des propriétaires d’immeubles, largement compensé par le logement qui va de pair avec la fonction. Les concierges, par tradition, se paient en partie sur les loyers (un sou par livre représente 1/20 ou 5% du montant des loyers perçus) pour le compte des propriétaires et en partie sur certaines marchandises, comme le bois de chauffage, qui entrent dans la maison (une buche par voie ou chargement), et donc aux dépens des locataires. Mais, comme le souligne Balzac, ces revenus sont généralement insuffisants pour un ménage, et doivent être complétés par des activités annexes, entreprises à domicile, telles que les travaux de couture de Monsieur Cibot, tout à fait compatibles avec ses devoirs de portier.

Cibot, petit homme rabougri, devenu presque olivâtre à force de rester toujours assis, à la turque, sur une table élevée a la hauteur de la croisée grillagée qui voyait sur la rue, gagnait à son métier environ quarante sous par jour. Il travaillait encore, quoiqu’il eût cinquante-huit ans ; mais cinquante-huit ans, c’est le plus bel âge des portiers ; ils se sont faits à leur loge, la loge est devenue pour eux ce qu’est l’écaille pour les huîtres, et ils sont connus dans le quartier !

Description physique sommaire de Monsieur Cibot dans son environnement, augmentée de quelques détails sur son âge et de quelques commentaires de Balzac sur le métier et la mentalité des portiers de Paris, pour qui « être connu dans le quartier » semble bien représenter le sommet de la gloire et de la considération.

« L’écaille pour les huitres » et « belle écaillère » (§ suivant) assurent une transition entre le portait de Monsieur et celui de Madame dans une même évocation des coquillages et fruits de mer qui se fabriquent leur propre coquille et que Madame Cibot, dans sa jeunesse, vendait à la devanture du restaurant au Cadrant-Bleu.

Madame Cibot, ancienne belle écaillère, avait quitté son poste au Cadran-Bleu par amour pour Cibot, à l’âge de vingt-huit ans, après toutes les aventures qu’une belle écaillère rencontre sans les chercher. La beauté des femmes du peuple dure peu, surtout quand elles restent en espalier à la porte d’un restaurant. Les chauds rayons de la cuisine se projettent sur les traits qui durcissent, les restes de bouteilles bus en compagnie des garçons s’infiltrent dans le teint, et nulle fleur ne mûrit plus vite que celle d’une belle écaillère.Heureusement pour madame Cibot, le mariage légitime et la vie de concierge arrivèrent à temps pour la conserver ; elle demeura comme un modèle de Rubens, en gardant une beauté virile que ses rivales de la rue de Normandie calomniaient, en la qualifiant de grosse dondon. Ces tons de chair pouvaient se comparer aux appétissants glacis des mottes de beurre d’Isigny ; et nonobstant son embonpoint, elle déployait une incomparable agilité dans ses fonctions.Madame Cibot atteignait à l’âge où ces sortes de femmes sont obligées de se faire la barbe. N’est-ce pas dire qu’elle avait quarante-huit ans ? Une portière à moustaches est une des plus grandes garanties d’ordre et de sécurité pour un propriétaire. Si Delacroix avait pu voir madame Cibot posée fièrement sur son balai, certes il en eût fait une Bellone !

Histoire de Madame Cibot, « ancienne belle écaillère » dont les aventures amoureuses de «jeune fille» sont évoquées non sans malice par Balzac (« toutes les aventures, etc. »).

Après une nouvelle irruption du narrateur (« la beauté des femmes du peuple, etc. »), du même ordre que celle relevée dans la description des lieux, début du portrait physique, évoqué en relation avec l’histoire du personnage par des mentions relatives à l’usure rapide de la beauté, sans aucun détail réaliste tel que la couleur des cheveux, la coiffure, etc. mais avec des périphrases permettant de conclure à des traits durs et à un teint fleuri, autrement dit à un visage marqué et rougeaud.

Apparait ensuite le physique de Madame Cibot au moment où le roman la concerne : il peut être résumé par le qualificatif de « grosse dondon », que Balzac lui attribue par la bouche de ses « rivales » et précise par la mention de son embonpoint et à la texture de beurre de ses chairs, complétant par quelques détails plus féminins sa mention initiale de « beauté virile ».

Le recours aux références picturales, par l’intermédiaire des noms de Rubens et Delacroix (le premier est un peintre hollandais de l’époque classique, réputé pour le dodu de ses modèles féminins, le second un peintre du XIXe siècle contemporain de Balzac), est également une habitude de l’auteur, qui en fait un usage fréquent dans ses portraits (l’italien Raphael, par exemple, est souvent cité pour les jeunes filles).

La dernière partie, à nouveau entrecoupée d’un commentaire du narrateur (bien qu’ici plus en relation qu’ailleurs avec le portrait en cours) donne l’âge du personnage et en cloture la description par la référence à Delacroix, en y ajoutant le détail cocasse du balai comme attribut de la concierge, ici ironiquement assimilée à une déesse de la guerre (Bellonne).

Synthèse & pistes de problématique

Le titre donné au devoir n’est pas innocent : le terme « portrait croisé » est déjà une piste, à défaut d’en trouver d’autres…
Il s’agit donc d’un double portrait, celui des deux membres d’un couple de «petites gens», concierges parisiens sans doute un peu caricaturés par Balzac, qui a besoin pour son projet de personnages représentatifs d’une classe ou d’un métier.

Nous savons, depuis notre étude d’Eugnéie Grandet, que Balzac campe souvent ses personnages en leur donnant plusieurs dimensions : physique, caractère, histoire et situation au moment où ils entrent en scène ; ici, il ne déroge pas à cette habitude, même si ces deux portraits sont très éloignés, dans leurs détails, de ceux que nous connaissons déjà. Là où Grandet, là ou Nanon étaient décrits avec une grande précision, et dont l’histoire constitue à elle seule le résumé d’un roman, le couple Cibot n’est pas décrit, mais plutôt cerné. Pourtant, malgré ce que ce mot peut suggérer de schématique, il n’est pas foncièrement plus difficile d’imaginer le portrait de Madame Cibot qu’il ne l’était pour Nanon : nous ne connaissons la couleur des yeux d’aucune des deux, et aux verrues de l’une répond la moustache de l’autre. Cependant, près de 15 ans séparent ces portraits dans l’oeuvre de Balzac, et sans doute le temps et l’expérience d’écriture ont-ils donné à l’auteur un plus grand sens de la concision. Un axe possible de la problématique pourra donc consister en une étude de cette concision, qui permet à Balzac de faire en quelques lignes le portrait de deux personnages (là où celui de Grandet, par exemple, s’étalait sur 10 pages) – il faudra toutefois rester, dans ce cas, bien centré sur l’étude du texte, sans divaguer entre l’extrait à traiter et les souvenirs d’autres lectures.

Une autre voie possible est de s’interroger sur les tenants et aboutissants ducouple Cibot : comment ces deux personnages si dissemblables, une « grosse dondon » mariée à un « petit homme rabougri », peuvent-ils être associés par le mariage ? Si puissant que soit l’amour, d’ailleurs mentionné par Balzac, il ne saurait suffire à cette «alliance de la carpe et du lapin», qui fait irrésistiblement penser aux personnages croqués, près d’un siècle plus tard, par le dessinateur Dubout, comme sur l’illustration ci-contre :

On peut également penser aux portraits de caractères dont Balzac nourrit son projet, à la fois descriptif et encyclopédique, de Comédie humaine, et qui justifient dans une certaine mesure, mais surtout donnent un sens aux descriptions que les lecteurs non avertis ont tendance, de façon à la fois naturelle et injuste, à reprocher à cet extraordinaire auteur, qui sait faire bien d’autres choses.

Ou encore, suivant Balzac dans ses fantaisies d’auteur, peut-on envisager ce texte sous l’angle conchylicole et tenter, à l’aide d’indices éparpillés, d’envisager ce qui justifie les références répétées de Balzac aux huitres et autres coquillages, ou d’imaginer ce que peut recouvrir cette expression de la gloire pour des portiers : « être connus dans le quartier » ; gageures difficiles, qui requièrent une analyse subtile et une argumentation élaborée…

Il est enfin possible de revenir à des vérités fondamentales sur la narration, telles que celle-ci : décrire un personnage, c’est en fixer le caractère et la personnalité, c’est, d’une certaine manière, le créer dans l’esprit du lecteur ; une fois ce travail achevé, comme la création du premier homme, il ne reste plus à l’auteur qu’à l’animer d’un souffle, et dérouler l’histoire au gré des caractères et de leurs rencontres.

On voit donc que malgré sa relative brièveté, ce texte, comme bien d’autres, est susceptible de donner lieu à de multiples angles d’analyse ; l’essentiel, bien sûr, reste de développer un propos autour du texte et soutenu par le texte.

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