L’écriture autobiographique

Définitions – biographie et autobiographie – récit

La définition des mots composés est rendue aisée par la facilité de leur démontage ; ici, on a affaire exclusivement à des racines grecques :

L’autobiographie est ainsi l’acte d’écrire (l’histoire de) sa vie par celui-là même qui la vit, alors qu’une biographie est simplement l’histoire d’une vie (autre que la sienne propre).

Une bonne illustration de cette définition se trouve dans la question du nombre : il peut effet exister plusieurs biographies d’un personnage célèbre ; c’est le cas par exemple pour Napoléon 1er ou Charles de Gaulle. En revanche, un individu ne peut en principe écrire plusieurs fois l’histoire de sa propre vie, même si parfois l’autobiographie se mêle aux autres ouvrages biographiques : Charles de Gaulle a ainsi écrit lui-même ses mémoires.

Par définition, biographie et autobiographie se rangent dans la catégorie récit. Raconter une vie, éventuellement la sienne, c’est avant tout raconter une histoire, produire un récit.

Spécificité de l’autobiographie

Si une biographie est une histoire à peine plus particulière qu’une autre, l’écriture autobiographique possède une particularité importante : l’auteur, le narrateur et le personnage principal du récit ne sont en effet qu’un seul et même individu, qui parle en son nom propre à la première personne. L’autobiographie est donc la seule catégorie littéraire à obéir au schéma ci-dessous :

Il existe peu d’exceptions notables à cette règle : une des plus connues est celle de Jules César, auteur de la Guerre des Gaulles, ouvrage dans lequel il narre ses conquêtes en parlant de lui-même à la troisième personne… de nos jours, on imagine mal quiconque faisant de même sans se couvrir aussitôt de ridicule ! Par ailleurs certains auteurs, comme Jules Vallès, ont raconté leur propre vie à a première personne, mais en s’attribuant une identité différente ; si nous sommes toujours dans l’écriture autobiographique, on comprend bien en même temps que les limites du genre ne peuvent tenir à des règles absolues et intangibles.

Biographie et vérité

Le sujet d’une biographie est une personne « réelle » et non un personnage ; il s’agit d’un homme ou d’une femme dont l’existence est connue attestée, prouvée, et éventuellement importante et symbolique pour un grand nombre de gens ; il est donc exclu de raconter n’importe quoi sur son compte – les sujets et leurs héritiers y veilleront éventuellement, aidés par la justice…

L’écriture biographique doit donc présenter la vérité. C’est a priori facile pour tout ce qui est simple et attestable : date de naissance, de mariage, de décès, actes officiels divers ; cela devient beaucoup plus compliqué dès lors que l’on aborde la vie pratique : l’intimité professionnelle ou familiale, la vie privée, les émotions… on doit alors s’appuyer sur des témoignages, des souvenirs… tout cela est-il vérifiable ? Pas toujours, et à un moment ou à un autre, on doit faire confiance à l’auteur pour rapporter la réalité.

La vérité biographique est donc un engagement de l’auteur vis-à-vis de son public ; cet engagement est parfois explicité au début de l’ouvrage ; mais même s’il est tacite, il est indispensable, car un mensonge ou d’une omission délibérée de l’auteur transformerait l’ensemble de l’œuvre en fiction. D’un autre côté, doit-on, peut-on tout raconter ? Une vie longue et bien remplie peut par exemple susciter plusieurs ouvrages, éventuellement d’auteurs différents, avec des angles de vision variables pour essayer de cerner plus précisément le sujet : sa vie publique, sa vie privée, ses amitiés, ses amours, telle ou telle période clé de sa vie… mais chaque ouvrage ne livrera donc qu’une vision tronquée de son sujet, à laquelle il faudra, pour atteindre « la » vérité, ajouter tous les autres, sans jamais être sûr d’avoir épuisé le sujet, de savoir tout ce qui est possible de connaître de lui…

Les genres autobiographiques

Le genre biographique est une catégorie rassemblant des écrits très différents. Dans le principe, l’autobiographie est un retour en arrière effectué par un auteur sur sa propre vie, généralement organisé de façon chronologique, et qui raconte son histoire de son début jusqu’au moment où il écrit. Parfois, ce récit n’est pas complet, ou subit des ellipses importantes : l’auteur se concentre sur une partie significative de sa vie (guerre, exercice d’un pouvoir ou d’une responsabilité quelconque, etc.) on parle alors de mémoires, ou encore de témoignage lorsque l’auteur n’est pas en position de contrôler son destin au moment concerné (captivité, déportation, guerre, aventures, etc.).

Il faut également considérer le statut particulier du journal, intime ou non : s’il se détache de l’autobiographie par son aspect quotidien (on n’écrit pas à un moment tout ce qui s’est passé jusque-là, mais ce qui se passe au jour le jour), il correspond parfaitement à la définition donnée plus haut d’une écriture centrée sur son auteur ; il est d’ailleurs souvent, lorsqu’il existe, la source de référence de l’autobiographie ou de la biographie, et il est parfois publié pour lui-même.

La correspondance, en revanche, échappe à notre définition, car elle n’est pas en principe centrée sur son auteur ; elle est cependant, au même titre que le journal, une source précieuse pour l’écriture biographique.

Mais il faut ici revenir sur la question de la vérité. Même si, assez souvent, le lieu commun selon lequel « la réalité dépasse la fiction » prend tout son sens, il est tout aussi vrai que tous les événements d’une vie ne sont pas dignes d’être racontés, et que par ailleurs tout n’est pas racontable. Pour certains spécialistes, cette limitation évidente conduit à une distorsion de la vérité au point que l’on ne puisse plus parler d’autobiographie ; on préfère alors parler d’autofiction, en assumant la part inévitable du choix et de l’omission dans ce qui est raconté. Cette notion n’empêche aucunement le récit de correspondre à la réalité tout en affichant honnêtement la part d’adaptation effectuée par l’auteur.

Cette part se retrouve également dans la biographie : l’auteur peut par exemple choisir classiquement de ne s’assumer que comme narrateur de l’histoire, mais il peut aussi faire preuve d’audace et se mettre « dans la peau » du personnage dont il raconte la vie. Les uns préfèreront la distance critique de la première solution, d’autres trouveront que le récit à la première personne gagne en réalisme ; tout cela n’est finalement qu’une affaire de goût…

Au-delà de la littérature

Genre littéraire majeur au tournant du XXIe siècle, l’autobiographie est-elle cantonnée à la littérature ? À voir le nombre de d’autoportraits qui jalonnent l’histoire de la peinture ou de la photo, il semble clair que non.

Pourtant, il existe une différence majeure entre ces types de représentation ; l’autobiographie littéraire s’inscrit dans la durée d’une vie, même si elle est tronquée ; c’est même de cette durée, du passage du temps et des événements, de l’évolution du sujet qu’elle tente de raconter, alors que la peinture ou la photographie donne une image du même sujet figée dans l’instant. Si les exercices peuvent se compléter, s’ils sont de la même famille, ils ne sont pas de la même nature.

La question plus récente du cinéma pose encore d’autres problèmes : dans le cadre de l’autobiographie, on peut difficilement envisager de demander à un auteur généralement adulte, souvent d’un certain âge, de jours pour la caméra son rôle d’enfant ou d’adolescent ; on est ainsi condamné à faire jouer un acteur, transformant ainsi le sujet en personnage, tout en essayant de garantir par ailleurs la « vérité » biographique : tout se complique…

Connecteurs logiques & articulation des discours

Le besoin de logique est omniprésent dans toute communication, et soumet la langue, par exemple, à l’emploi des modes et des temps verbaux, ou à la syntaxe, pour exprimer ou comprendre de quoi il est question.

Ces besoins ne s’expriment cependant pas de la même façon selon l’objectif, ou type, du discours.

Rappel

On distingue cinq types de discours :

Ces différents types de discours se trouvent assez souvent mêlés sur un même support : dans un roman par exemple, le récit peut laisser place à une explication, ou à un dialogue présentant les arguments de deux personnages ; un plaidoyer d’avocat contient souvent le récit d’éléments biographiques de l’accusé, qui permettront d’expliquer son comportement ou d’en faire un portrait innocent ; les exemples ne manquent pas.

Outils logiques

Pour satisfaire aux différents besoins de logique qu’il induit, chaque type de discours présente des caractéristiques différentes dans l’organisation, l’emploi des modes et des temps ; il fait également appel à des outils linguistiques particuliers appelés connecteurs logiques.

Dans la mesure où leur utilisation est permanente, ces connecteurs (ou liens) logiques sont très nombreux, et parfois difficile à isoler : par exemple, la ponctuation peut servir de lien logique… il faut cependant être capable d’en identifier certains.

Tableau des connecteurs logiques pour le collège

(adapté de http://www.etudes-litteraires.com/liens-logiques.php)

Prépositions Conjonctions
de coordination
et adverbes
Conjonctions de
subordination
Verbes et
locutions verbales
CAUSALITÉ

Cause

à cause de
à la suite de
en raison de
grâce à
du fait de
car
en effet
parce que
puisque
comme
étant donné que
venir de
découler de
résulter de
provenir
CAUSALITÉ

Conséquence
ou but

au point de
de peur de
assez… pour
pour
afin de
en vue de
de là
d’où
donc
aussi
par conséquent
en conséquence
c’est pourquoi
ainsi
dès lors
pour que
afin que
si bien que
de façon que
de sorte que
dès lors que
tellement que
tant que
au point que
causer
impliquer
entraîner
provoquer
susciter
etc.
Addition outre
en plus de
en sus de
et
en plus
de plus
en outre
par ailleurs
ensuite
d’une part… / d’autre part
aussi
également
outre que
sans compter que
et
s’ajouter
marier
Concession
ou opposition
malgré
en dépit de
loin de
contre
au contraire de
au lieu de
mais
or
néanmoins
cependant
pourtant
toutefois
au contraire
inversement
en revanche
bien que
quoique
même si
alors que
tandis que
tout…que
quelque… que…
s’opposer à
contredire
avoir beau (+ infinitif)
réfuter
Hypothèse

condition

en cas de si
au cas où
pour le cas où
selon que
suivant que
à supposer que
etc.
Alternative ou
soit…
ou bien…
soit que…
<table style= »width: 458px; » border= »1″ cellspacing= »0″ cellpadding= »4″>
<tbody>
<tr bgcolor= »#f0f0f0″>
<td width= »83″ bgcolor= »#fcd745″></td>
<td width= »75″ valign= »TOP » bgcolor= »#fcd745″></td>
<td width= »82″ valign= »TOP » bgcolor= »#fcd745″></td>
<td width= »97″ valign= »TOP » bgcolor= »#fcd745″></td>
<td width= »80″ valign= »TOP » bgcolor= »#fcd745″></td>
</tr>
<tr>
<td width= »83″ bgcolor= »#fcd745″></td>
<td width= »75″ valign= »TOP »></td>
<td width= »82″ valign= »TOP »></td>
<td width= »97″ valign= »TOP »></td>
<td width= »80″ valign= »TOP »></td>
</tr>
<tr>
<td width= »83″ bgcolor= »#fcd745″></td>
<td width= »75″ valign= »TOP »></td>
<td width= »82″ valign= »TOP »></td>
<td width= »97″ valign= »TOP »></td>
<td width= »80″ valign= »TOP »></td>
</tr>
<tr>
<td width= »83″ bgcolor= »#fcd745″></td>
<td width= »75″ valign= »TOP »></td>
<td width= »82″ valign= »TOP »></td>
<td width= »97″ valign= »TOP »></td>
<td width= »80″ valign= »TOP »></td>
</tr>
<tr>
<td width= »83″ bgcolor= »#fcd745″></td>
<td width= »75″ valign= »TOP »></td>
<td width= »82″ valign= »TOP »></td>
<td width= »97″ valign= »TOP »></td>
<td width= »80″ valign= »TOP »></td>
</tr>
<tr>
<td width= »83″ bgcolor= »#fcd745″></td>
<td width= »75″ valign= »TOP »></td>
<td width= »82″ valign= »TOP »></td>
<td width= »97″ valign= »TOP »></td>
<td width= »80″ valign= »TOP »><span style= »font-family: Nimbus Roman No9 L; »><span style= »font-size: x-small; »></span></span></td>
</tr>
</tbody>
</table>

Etude de la langue – le subjonctif contre-attaque

Imparfait et plus-que-parfait du subjonctif

Rappels

  • le subjonctif est le mode de l’irréel, de l’hypothèse, de la modalité ;

  • il est toujours employé dans des propositions subordonnées introduites par que (mais la présence de que n’induit pas toujours le subjonctif !)

  • dans la langue courante et dans la littérature contemporaine, son emploi est généralement limité à deux temps :

    • le présent, temps simple dont la conjugaison doit être connue et maîtrisée ;

    • le passé, temps composé avec le subjonctif présent de l’auxiliaire être ou avoir et un participe passé.

Imparfait et PQP

Héritage des origines latines du français, le subjonctif connaît deux autres temps, dont l’emploi est devenu aujourd’hui rare mais qui apparaissent dans de nombreux textes du patrimoine historique et littéraire. Pour pouvoir saisir le sens (et le sel) de ces textes, il faut donc que ces temps puissent au moins être identifiés et que leur fonctionnement soit compris.

L’emploi de ces temps découle des impératifs de la concordance des temps, qui découle de la définition même des temps verbaux et pose comme principe que ces temps doivent être associés de façon régulière.

Exemples :

  1. on me dit que tu viendras / que tu viens demain (présent → futur ou présent)

  2. on m’a dit que tu venais / que tu viens demain (passé → passé)

Conjugaison

L’imparfait est un temps simple, dont la conjugaison s’appuie sur celle du passé simple auquel on ajoute des terminaisons composées d’un -ss- ; le plus-que-parfait (PQP) est composé de l’imparfait du subjonctif d’un auxiliaire et du participe passé.

Infinitif / groupe

Passé simple

Subjonctif présent

Subjonctif Imparfait

1er – parler

je parlai

il parla

nous parlâmes

que je parle

qu’il parle

que nous parlions

que je parlasse

qu’il parlât

que nous parlassions

2e – finir

je finis

il finit

nous finîmes

que je finisse

qu’il finisse

que nous finissions

que je finisse

qu’il finît

que nous finissions

3e – faire

je fis

nous fîmes

que je fasse

que nous fassions

que je fisse

que nous fissions

3e – prendre

je pris

nous prîmes

que je prenne

que nous prenions

que je prisse

que nous prissions

être & avoir

je fus / nous fûmes

j’eus / nous eûmes

que je sois / nous soyons

que j’aie / nous ayons

que je fusses / nous fussions

que j’eusse / nous eussions

Ecrivains

Travail oral proposé aux classes de quatrième et de troisième

But

Présentation d’un exposé oral de quelques minutes (3 à 5) sur un écrivain ou un auteur, donnant lieu à une évaluation – époques imposées :

Explication : il s’agit de travailler non pas sur tel ou tel écrivain dont on lit et dont on aime les ouvrages, mais de réaliser un travail sur un personnage de la littérature et de le placer dans une perspective historique et culturelle. En conséquence, un auteur d’ouvrages de jeunesse lu en 6e ou 5e, ou encore un auteur contemporain «à la mode», voire primé, et dont les livres se vendent comme des petits pains, n’ont pas forcément vocation à entrer dans ce tableau dans la mesure où ils ne permettent pas cette mise en perspective historique ; certains auteurs contemporains ont toutefois un «poids littéraire» considérable, qu’ils doivent non pas à leurs chiffres de vente, mais ce qu’ils ont pu apporter à la littérature elle-même ; on peut penser par exemple à Stephen King, auteur états-unien dont l’œuvre, bien qu’inachevée, a d’ores et déjà renouvelé, en la popularisant, la littérature fantastique ou d’horreur.

Contenu de l’exposé

Sans être imposée, une iconographie de l’écrivain (portrait seul, en famille, en groupe, représentations de personnages marquants, affiches de film tirés de l’œuvre, etc.) apportée sur papier ou mieux encore sur une clé USB (vidéoprojecteur) est bien évidemment recommandée.

L’évaluation tiendra compte de l’abondance, mais surtout de la qualité du contenu, ainsi que des qualités propres à une prestation orale : recours limité aux notes (autorisées), attitude, diction, etc.

Outils et moyens de recherche

La qualité  de la prestation orale dépend d’abord de la qualité du travail de recherche et de préparation. Celui-ci peut être mené à la maison ou au collège, en tirant parti des ressources du CDI, notamment pour les ouvrages de l’auteur ou les usuels spécialisés dans le domaine littéraire.

En dehors de ces ressources scolaires, Internet est évidemment un moyen privilégié de recherche d’information, avec les nombreux moteurs et encyclopédies disponibles ; il faut cependant rappeler et souligner que le travail à effectuer ne saurait se limiter au recopiage pur et simple d’un article d’encyclopédie : il faut trier, choisir et reformuler, c’est-à-dire s’approprier un savoir afin de le faire partager.

L’importance de la narration : littérature, cinéma, BD…

«Pour faire un bon film, il faut premièrement, une bonne histoire, deuxièmement, une bonne histoire, troisièmement, une bonne histoire.» Henri-Georges Clouzot

Ranger son bureau

D’arrivée récente dans la culture de l’humanité, le cinéma et la bande dessinée complètent la littérature pour former désormais une sorte de trinité de la narration. Bien sûr, le genre narratif n’est pas le seul en littérature, bien sûr il se trouvera un peu partout des esprits chagrins pour avancer que la position du cinéma est complexe, mais nous laisserons les critiques de tous poils à leurs querelles byzantines pour avancer tant bien que mal sur les chemins de la connaissance. Pour faire simple, nous dirons donc que littérature, cinéma et BD ont en commun de pouvoir être (et d’être essentiellement) utilisés pour raconter des histoires.

Dans cette perspective, ces trois arts partagent donc, entre autres, une problématique de la narration. Raconter une, ou plutôt des histoires, d’accord, mais comment ? Qui raconte ? Comment produire, au bénéfice du lecteur / spectateur, un récit cohérent ?

Choisir une histoire

Soit une histoire (presque au hasard) dont voici l’histoire, qui se murmure parfois entre lycée et université, mais que tout le monde sera capable d’apprécier : un grand cinéaste d’Hollywood, qui comme H.G. Clouzot, metteur en scène français du XXe siècle, connaissait l’importance d’une bonne histoire, rêve une nuit du scenario parfait, au point de s’en réveiller ! partagé entre la peur d’oublier l’histoire et celle de perdre en route ce rêve merveilleux, et encore tout ensommeillé, il griffonne quelques mots sur un bout de papier, et se rendort satisfait. L’histoire ne dit pas s’il retrouva son rêve, mais voici ce qu’il trouva écrit sur son papier à son réveil : «boy meets girl» (un garçon rencontre une fille).

Soit donc une histoire de rencontre, et plus si affinités ; histoire on ne peut plus banale et rebattue, mais justement : nous la connaissons tous, nous l’avons tous vécue ou vue jouer cent fois, nous en avons tous une idée : c’est donc un bon sujet. Nous voici avec des personnages et un début de trame narrative ; on peut y aller ?

Non. Comment ça, non ? Comme ça se prononce : non. Mais pourquoi ?

Compléter les ingrédients

Parce qu’une histoire, fut-elle d’amour, ne saurait se contenter de personnages et d’une idée ! Il faut aussi lui donner un cadre ; tenez, au hasard (enfin, pas tout à fait) : Adam et Ève, c’est la création du monde (selon la Bible et le Coran) et le paradis terrestre, un arbre, une pomme et un serpent ; Thésée et Ariane, c’est la Grèce ancienne, avec les dieux et les monstres ; Roméo et Juliette, c’est l’Italie du XVe siècle et une vendetta, Paul et Virginie une île déserte, etc. Pour que notre histoire puisse exister, il faut qu’elle soit rattachée d’une manière ou d’une autre à la grande histoire de l’humanité, il faut lui ajouter un lieu, une époque, en somme : un contexte.

Bon, alors mettons Paul et Virginie, ça fait plus moderne que Thésée et Juliette, et disons quelque part en France de nos jours, comme ça on est sûr de pas se lancer dans l’inconnu. Ça y est ? On peut s’y mettre ?

Non (tu ne sais pas pourquoi, lecteur, mais tu t’y attendais un peu, non ?)… Bon, qu’est-ce qui manque, ce coup-ci ?

Trouver un narrateur

C’est vrai, on a une idée, des personnages, un contexte… mais qui raconte ? Paul ? Virginie ? Un copain ? La grand-mère ? Personne ? Il nous faut un narrateur, un intermédiaire ; peu importe à ce stade de savoir ce qu’il est, mais on doit choisir, ne serait-ce que par qui on commence : on peut parfaitement imaginer que Virginie et Paul vont raconter l’histoire, chacun à son tour, et même que l’histoire vue par les yeux de Virginie ne soit pas tout à fait la même que celle vue par Paul (par exemple elle est raide amoureuse, il la trompe – ou l’inverse) ; on peut aussi décider que celui qui raconte l’histoire est une espèce de Dieu qui sait tout ce qui s’est passé avant et tout ce qui se passera ensuite… on peut décider ce qu’on veut, mais il faut décider quelque chose.

Vous ne voyez pas pourquoi ? Je vais essayer de vous expliquer.

Ajouter du sel et des épices

Si encore le narrateur était la seule chose à trouver ! On a pas encore fini de remplir la marmite de tout ce qu’il faut… Comment nos tourtereaux vont-ils se rencontrer ? Au collège : détournement de mineur(e) ! Au boulot : harcèlement ! Au bal : c’est d’un banal ! Tant qu’à faire, optons pour le banal de chez banal : à l’arrêt de bus ; Virginie attend le bus, c’est l’été, elle est ravissante ; Paul passe sur son scooter, et il est tellement ravi qu’il va brûler le stop qui se trouve juste après l’arrêt de bus et se faire renverser par une voiture (rassurez-vous, rien de grave, il survivra, et comme son scooter est bon pour la casse il va être obligé de prendre le bus lui aussi… vous me suivez ?). Passons à l’écriture ; comme on n’a pas encore choisi de narrateur, je vais vous proposer plusieurs solutions, on fera le tri plus tard.

Touiller

Solution 1 : narrateur extérieur et omniscient , avatar de l’auteur

Par une belle matinée de juin, où l’air embaumait et où les petits oiseaux chantaient, une jolie fille était, comme presque chaque matin, à l’arrêt de bus M*** R*** de la bonne ville de F*** . La journée s’annonçait radieuse, et Virginie (car c’était elle) avait troqué pour l’occasion son armure de jean et de pull informe pour une petite robe d’été dont elle avait justement fait l’emplette le samedi précédent et grâce à laquelle elle comptait rendre ses copines vertes de jalousie. Bien qu’elle eût raté un premier bus – car elle s’était attardée devant son miroir – elle patientait de bonne humeur, et l’anticipation de la tête que ferait Brenda, sa meilleure amie qui pesait 50 kg de plus qu’elle, à la voir dans sa nouvelle tenue, lui donnait des couleurs appétissantes.

Ainsi plongée dans ses pensées, elle fut tirée de sa rêverie par la pétarade d’un moteur de petite cylindrée, bientôt suivi d’un crissement de freins et d’un choc ; levant la tête, elle aperçut, au croisement situé à proximité de l’arrêt, un scooter gisant à terre au milieu d’une flaque d’huile, flanqué d’une automobile arrêtée, dont le conducteur, un gros homme d’allure apoplectique, était en train de descendre ; le pilote du scooter, apparemment indemne, trépignait en criant des choses incompréhensibles tout en désignant du doigt l’arrêt de bus. Virginie serait bien restée pour assister à la suite des événements, mais un bus arrivait : elle y monta, la scène de l’accident disparut presque instantanément de ses yeux et de son esprit, et elle se remit, souriante, à songer à la tête qu’allait faire Brenda.

Solution 2 : narrateur personnage (Paul) – point de vue interne – dialogue

etc.

A ce stade, j’imagine qu’on commence à entrevoir toute l’importance non seulement du choix du narrateur, mais également de celui de l’angle selon lequel une scène est vue, ou plutôt montrée. Clouzot a raison, une bonne histoire est indispensable ; reste à savoir comment on la raconte : c’est ce qui constitue une bonne partie des problématiques de la littérature, du cinéma, de la BD et même en partie du théâtre.

Page Suivante →