Les bébés dans la publicité

Proposition d’analyse d’un film utilisant une image inhabituelle de bébé (publicité Wilkinson)

Analyse et décryptage d’une publicité

Proposition de corrigé

Teaser Fight For Kisses (Wilkinson®)

Lien vers la vidéo (dailymotion)

Il s’agit d’un film humoristique en images de synthèse destiné à vanter les avantages d’un nouveau produit de la société Wilkinson : un rasoir à 4 lames, qui se présente comme une bande-annonce de long métrage, c’est-à dire une suite de courtes séquences qui permettent au spectateur de saisir rapidement un résumé de l’histoire.

Le scénario du film est construit sur les ravages de la jalousie père-fils, jalousie dont l’enjeu est l’attention exclusive de la mère. Grâce à sa peau douce, le bébé focalise toute l’attention de sa maman, au détriment du père qui se trouve délaissé ; mais bientôt, grâce à l’acquisition d’un nouveau rasoir (à 4 lames!) la peau douce du papa lui permet de redevenir le destinataire principal des attentions de sa femme. Jaloux, le bébé démarre alors un entraînement de combat, destiné à lui permettre d’affronter son rival afin de reconquérir les grâces de sa mère…

De façon assez classique, ce film publicitaire utilise donc une trame narrative pour présenter le produit à travers un récit qui le met en scène. Dans la gamme des produits de grande consommation pour hommes, le rasoir se présente généralement comme une arme de séduction : être rasé de près, avoir la peau du visage douce et nette est un des arguments souvent avancé pour susciter l’intérêt de partenaires possibles. Ici, le produit est bien une arme de séduction, mais le terrain se décale de manière double :

Au bout du compte, il ne s’agit pour le bébé de rien de moins que d’éliminer son père afin de pouvoir bénéficier, comme seul homme de la maison, de toutes les attentions de sa mère. De façon détournée, et en utilisant les techniques de l’humour et du comique pour marquer une distance convenable, l’argumentaire de cette publicité est ainsi fondé sur le mythe d’Oedipe, abordé dans le cadre de la séquence consacrée au théâtre.

Un sujet aussi grave, et potentiellement explosif sur le plan des moeurs, ne pouvait être abordé sans manoeuvres de distanciation : c’est à quoi s’emploient un grand nombre de moyens et procédés à l’oeuvre dans le film.

Tout d’abord, le recours aux images de synthèse : il ne permet pas uniquement de faire réaliser au bébé des «exploits» physiquement impossibles à un bambin, et dont la litanie, tout au long de son entraînement, culmine avec un «pet à réaction» ; en rattachant l’univers de cette petite famille idéale à celui de la série de jeux vidéo bien connue des SIMS®, c’est l’ensemble du récit qui est placé dans l’univers virtuel ; au bout du compte, c’est d’ailleurs bien d’un jeu qu’il s’agit, puisque la publicité pour le produit se double d’une communication sur le jeu associé, Fight for kisses, qui voit probablement se réaliser l’affrontement entre le bébé et son père, suggéré à la fin du film, dans la tradition de ce qu’il est convenu d’appeler , dans le domaine des jeux vidéo, des jeux de «baston». On peut également noter que le film lui-même est muet : les personnages ne parlent pas, ce qui nous éloigne encore plus de la réalité…

Ensuite, le film lui-même se présente comme une bande-annonce de film d’action hollywoodien, et rassemble tous les poncifs du genre : univers sombre d’un présent opposé aux souvenirs d’un bon vieux temps révolu, dramatisation des situations par une bande-son et une voix off adaptées, montée en tension jusqu’à l’approche du combat final, à l’orée duquel le spectateur est abandonné.

Enfin, le sujet est traité de façon humoristique : la corde à sauter qui sert à l’entraînement du bébé est un soutien-gorge de sa mère, et son matériel est exclusivement composé d’objets et de mobilier d’enfant : ours en peluche, briques de Lego™, patère ; le tout est associé aux représentations traditionnelles des lieux d’entraînements de héros en devenir, avec la lingerie en sous-sol où une photo du bébé dans les bras de sa maman, scotchée au mur de brique brute, indique l’objectif à (re)conquérir, thématique que l’on retrouve par exemple dans la série des Rocky avec S. Stallone. Dans l’autre camp, le père est d’abord présenté avec une image de perdant : mal habillé, mal rasé, il traîne dans la maison et semble d’abord n’avoir rien d’autre à faire que de se morfondre au spectacle de l’entente parfaite entre la maman et son bébé ; puis, grâce au rasoir, il se transforme en bel homme, bien habillé et actif, et qui attire d’autant plus l’attention de sa femme qu’il n’a pas l’air de la réclamer.

Dans ce récit, le produit n’apparaît donc que comme un moyen, un adjuvant qui permet à l’adulte de retrouver la place qu’il avait perdue et sa dignité. Cette relative absence du produit, que l’on voit assez peu et jamais directement (soit sur le journal à l’intérieur d’une publicité, soit « en action ») fait de ce film non pas une vrai publicité, mais pluot ce que l’on appelle dans le jargon de la communication un teaser, c’est à dire un objet fait pour créer du bruit autour du produit (ici, à travers le jeu associé à la marque).

Bien que l’on soit, de manière évidente à travers les quelques indices rassemblés ici, dans l’humour et dans la parodie (caricature de références connues), on ne saurait conclure cette analyse sans quelques mots sur les références culturelles cachées. Le rattachement au mythe d’Oedipe, déjà cité, n’est en effet pas le seul élément du contexte de cet objet de communication : au mons deux autres éléments essentiels sont également à l’oeuvre ici. Le premier est le rôle, ou la place tenue dans le film par l’unique élément féminin : enjeu de la rivalité, la femme / mère/ épouse ne semble en effet peser qu’en tant qu’objet du désir des deux garçons ; muette, apparemment capable seulement d’assumer son rôle de ditributrice de câlins et de bisous, et uniquement en fonction d’un critère physique (la douceur de la peau), sa place est pour le moins réduite : la satisfaction muette, stupide et soumise du désir serait-elle donc toute l’espace laissé à la femme dans l’univers masculin? Le second est la consécration de l’opposition entre générations : confronté à l’arrivée d’un bébé, le père apparaît d’abord comme un perdant, avant de découvrir une arme pour reprendre sa place perdue, puis c’est au tour du fils de se hausser, par le pouvoir de la violence, à l’égal du père ; la rivalité est-elle donc la seule voie de communication entre parents et enfants?

Au-delà d’une vision simpliste et manichéenne que tous les spectateurs ne sont pas forcément capables de décoder ainsi que nous venons de le faire, la simple répétition de ce spectacle institue, d’une certaine façon, la validité des comportements qu’il décrit : c’est le point exact où le discours bascule, et où la communication risque de se transformer en arme culturelle.

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