Sredni Vashtar

Littérature seconde – genres et registres : le récit

Commentaire d’une nouvelle – étude d’un texte intégral

Saki (H. H. Munro) : Sredni Vashtar

Texte : Manuel de littérature seconde – Ed. Hatier 2004, p. 194 – 198

Proposition de commentaire :

Le genre de ce texte, assez long par rapport à celui des autres nouvelles intégrales proposées par le manuel, ne se livre pas au premier abord. On sait grâce à l’introduction que l’auteur est un « humoriste », mais l’humour de ce récit, s’il existe, ne saute pas aux yeux. De toute évidence, ce n’est donc pas par ces portes-là qu’il faut entrer dans l’étude de cette histoire.

Le personnage principal de l’histoire est un petit garçon malheureux : élevé par sa cousine (le récit de dit pas un mot sur les parents) qu’il n’aime pas et qui, elle, n’aime personne, accablée qu’elle est par le fardeau d’une existence compliquée par la présence d’un garçon qu’on dit malade et condamné, même si l’affirmation est immédiatement corrigée pour son peu de sérieux.

Comme si l’absence de parents et la haine d’une cousine acariâtre ne suffisait pas, la maison offre peu d’abris aux besoins d’échappatoires de l’enfant : son seul havre de paix est une cabane à outils oubliée dans le jardin, qu’il transforme au gré son imagination et terrain de jeu solitaire.

La plus grande attraction de ce refuge est un furet en cage, secrètement introduit là par le garçon, Conradin , qui voue à l’animal un véritable culte en prenant l’exact contrepied des offices religieux auxquels l’entraîne sa cousine. Les fréquents séjours de Conradin dans sa cabane attirent l’attention de sa tutrice, qui se débarrasse d’une poule, pensionnaire officielle du lieu. Pour toute réponse, Conradin se met à invoquer son petit dieu sanguinaire, qu’il a appelé Sredni Vashtar, une faveur indéterminée.

Le drame se noue lorsque la cousine s’aperçoit que l’intérêt de son encombrant pupille pour la cabane à outils n’a pas faibli, et qu’elle décide d’inspecter les lieux de manière plus approfondie ; de la maison, Conradin aperçoit le manège et, se résignant déjà au pire, adresse à son dieu la prière sauvage qu’il a inventée pour lui.

Et l’incroyable se produit : à la place de sa cousine en fureur, c’est le furet que Conradin voit apparaître à la porte de la cabane et se perdre dans la liberté retrouvée des broussailles du jardin. Et tandis que la maisonnée s’affole de la mort de la femme haïe (cris hystériques, exclamations, sanglots, « qui va l’annoncer [...] ?), Conradin grille, beurre et déguste la tartine de la victoire.

Bien trop volumineuse pour faire office de résumé, cette longue présentation permet à la fois de dégager les trois personnages : Conradin, sa tutrice et le furet qui incarne Sredni Vashtar, et le découpage de l’histoire : exposition des personnages et du contexte, montée de la tension, épisode dramatique (auquel ni Conradin ni le lecteur n’assistent) et dénouement. La construction est celle d’une pièce de théâtre plus que d’un récit, et même d’une tragédie classique, où la mort qui résout le dilemme se ne produit jamais sur scène.

Il s’agit donc d’un banal drame domestique, à peine un fait divers. Pourtant, la construction du récit et le point de vue, essentiellement externe mais surtout placé « à hauteur » du petit garçon permettent, sans révéler ce qui doit rester mystérieux (la mort) de donner à ce drame une couleur particulière, avec la transformation d’une lubie d’enfant en instrument de délivrance.

La narration crée ainsi un décalage subtil entre le point de vue de l’enfant, auquel l’auteur reste très attaché, et celui du lecteur : d’abord attendrissante et un peu ridicule, la déification du furet débouche sur un malentendu que le lecteur est seul à percevoir, puisque le lecteur seul peut savoir que le furet, s’il a été l’instrument de la délivrance de Conradin, n’en est pas plus responsable que l’enfant lui-même ; la mort de la tutrice est due à l’addition de son caractère acariâtre, de son manque d’amour pour l’enfant dont elle a la charge, et de la peur panique alliée à la fureur qu’elle a dû éprouver en découvrant la bestiole introduite clandestinement par l’enfant. Libre à Conradin de s’imaginer que Sredni Vashtar l’a exaucé (mais l’imagine-t-il vraiment ?) ; le lecteur, pour sa part, sait à quoi s’en tenir.

C’est donc de ce décalage que naît l’intérêt du récit : l’histoire est somme toute banale, les personnages – à part l’incongruité du furet – n’ont pas l’intérêt des héros habituels, mais cet épisode, somme toute déterminant dans la vie de Conradin (il va lui falloir changer de tuteur, mais après tout, là encore, ce n’est qu’une péripétie comparée à la perte ou à l’absence de ses parents), n’éveille notre curiosité que par la manière dont il est raconté.

O. Kappes 09/07

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